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ÉMISSION 9 : Rôle du blanc dans la politique haïtienne, ingérence, protectorat ou domination
Édito de Mathias Pierre
Comment la communauté internationale a normalisé l’ingérence dans les affaires haïtiennes ?
La terre d’Haïti n’a jamais cessé d’être l’espace de convoitise des blancs depuis sa « découverte » en 1492 par les Espagnols. Elle fut le théâtre de combats acharnés entre les différentes puissances coloniales à travers les siècles. Tous les traités de paix dans le monde, du Traité de Ryswick, Traité de Bal ou à la première ou deuxième guerre mondiale, eurent leurs impacts sur cette île, mais jamais au profit des habitants les plus défavorisés.
Avant 1804, les tainos disparurent par le génocide, les noirs venus les remplacer furent condamnés à l’esclavage, tandis qu’après 1804 les masses fraichement libres sont exclues et condamnées à la misère la plus abjecte.
Les relations entre les puissances étrangères et cette terre sont souvent empreintes d’agression interventionniste. Malgré tout, Liliane Pierre Paul disait que les blancs ont précédé les noirs, et Anthony Barbier avançait que les blancs ou la communauté internationale en Haïti sont et doivent être considérés comme du Capital Extérieur.
L’effet de la Révolution française de 1789 et de la Déclaration des droits de l’homme, permirent le déclanchement d’une révolution inédite dans l’île, avec la victoire sur la plus grande armée du monde de l’époque, l’armée napoléonienne. Pour les puissances étrangères coloniales, incluant les États-Unis d’Amérique, nouvellement indépendants mais dirigés par des blancs, ce fut une impertinence. Le 18 novembre 1803, fut pour la première fois les blancs aient été expulsés de cette terre, pour donner naissance en 1804, à la première nation noire indépendance. Il y eut mêmes le massacre des blancs.
Depuis, les blancs n’ont pas tenté de fouler le sol d’Haïti en conquérants, mais il y eut des guerres fratricides entre les fils de cette nation, noirs et mulâtres, dont celle entre Christophe et Pétion entre 1807-1818 qui dura plus de 11 ans et causa la mise à genoux de l’armées indigènes. Ainsi en 1825, c’est la légalisation du Capital Extérieur avec la signature sous pression de l’indemnité pour l’indépendance acquise au prix du sang des aïeux, acceptée par Jean Pierre Boyer.
Depuis, la nouvelle nation s’est affaiblie, des menaces de toute part par des bateaux de guerres de puissances étrangères françaises, espagnoles, allemandes, mais nul n’osa souiller le sol pendant tout le 19e siècle. N’empêche que le pays se soit affaibli et ses élites totalement désorientées.
Les luttes internes hégémoniques entre les mulâtres et les levantins, alliés l’un des de l’Europe et l’autre de la nouvelle puissance en naissance les États-Unis, finirent par mettre les élites totalement en déroute. Après toutes une série de déstabilisations par des bandes armées, des assassinats de présidents en série, même l’explosion du palais national, « les blancs débarquent » en 1915. C’est la première fois depuis 1804, que des étrangers osèrent fouler le sol. De la trahison des élites qui demandèrent l’occupation et la résistance des masses par le soulèvement des Cacos, le pays céda, et Jean Price Mars d’exclamer 1818 « c’est désarroi dans lequel j’ai trouvé une élite de ce pays ». De 1915 à 1934, c’est la mise en place de tout un système de dépendance mentale où un peuple et ses élites se sentent incapables d’agir que sous les ordres du blanc, le nouveau Dieu haïtien.
Toutefois, la domination d’Haïti par le Capital Extérieur a aussi pris d’autres formes plus profondes avec l’enculturation à l’acculturation pour agir sur le mental de la couche élitiste afin qu’elle contribue à faire soumettre toute la société haïtienne non rurale à travers les mœurs et les coutumes. Si de 1804 à 1860, il y eut une expansion du vodou, en 1860 avec la signature du Concordat, on a le début de l’implantation du néocolonialisme idéologique avec l’Église Catholique par la prise en charge de l’éducation des élites.
J’ai écrit dans Ruptures et Compromis, « Pour dominer les peuples, il fallait trouver la bonne façon ou formule établie sur les bases de croyances, pour pénétrer leurs cultures et leurs mœurs afin d’introduire une forme d’enculturation, soit par la voie de l’autorité de l’Église Catholique (ou des église protestantes), soit par le recours à l’humanitaire, afin de les porter à rejeter leurs propres religions et intérioriser la religion importée. » Si les catholiques utilisent l’éducation et l’autorité pour l’acculturation les élites, les protestants utilisent l’humanitaire pour les pauvres. Laënnec Hurbon écrit qu’en 1982 les protestants étaient de 16.2%, en 1996, ils étaient de 39% dans la zone métropolitaine. Malgré la tentative d’indigénisation de l’Église Catholique haïtienne par Duvalier en 1963, cela n’eut pas trop d’effet sur la domination étrangère.
En octobre 1994, avec le débarquement des 20 mille militaires américains pour rétablir dans ses fonctions le Président Jean Bertrand Aristide, c’est le début de la période onusienne avec le blanc dans ses contradictions, caractérisée par une domination idéologique et économique totale. Le néocolonialisme est victorieux avec une dépendance totale, même alimentaire avec une soumission totale des élites au dicta du Capital Extérieur. Une frange des élites sert d’intermédiaire de l’étranger et l’autre s’abandonne à la corruption et au banditisme légal. L’une des conséquences depuis l’assassinat du Président Jovenel Moise en juillet 2021, Haïti est passée d’un État faillit à une nation totalement en faillite plongée dans le chaos généralisé. Depuis c’est la normalisation définitive de l’ingérence du Capital Extérieur, le Blanc dans les affaires haïtiennes. Haïti n’est même pas capable de garantir sa souveraineté nationale, elle est incapable de se protéger mêmes contre ses bandes armées internes. L’État n’a plus le contrôle du monopole de la violence légitime.
Je conclus cet édito avec cet extrait de Ruptures&Compromis, « Le Capital extérieur, dans un tel contexte, a toute la latitude de terminer avec succès le projet mortel d’accélération de sa domination effective et sans contestation. Il le poursuit sous forme de l’établissement d’un protectorat permanent avec, à la tête, le Core Group au niveau local et le Conseil de Sécurité́ de l’ONU aux commandes à partir du Siège de l’ONU, à New York. Le pays rendu plus misérable devient plus dépendant avec des leaders faibles, lâches, sans grandeur. Dès lors, tout se décide par le Capital extérieur sur la base de ce qui restait comme institutions dont le plus grand nombre est anéanti. Haïti devient donc un État failli, incapable de prendre son cap faute d’un leadership éclairé́ à bord, capable de composer avec tout le monde pour une solution consensuelle dans le dialogue avec les élites volontaires. Sur cette pente, sans une remontée d’urgence, Haïti s’effondra immanquablement dans l’anarchie et la déliquescence absolue. » C’est effectivement là où se trouve Haïti en 2024, une nation en totale faillite plongée dans le chaos et sans des élections depuis plus de huit années. Personne ne sait dans les circonstances actuelles quand le pays en aura.
Je voudrais commencer l’émission par ce vieil adage d’un sage chinois, il y a de cela plusieurs siècles « Si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre. »