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ÉMISSION 8 : L’identification Nationale
Édito de Mathias Pierre
L’identification en Haïti, une priorité nationale.
Dès son origine, Haïti est fondée sur le marronage des anciens esclaves des champs et leurs « lakou » dans les montagnes, et les libres ou esclaves domestiques des villes, ce qui fait deux pays, un pays urbain et un pays rural, d’autres parlent d’un pays citadin et d’un « pays en dehors ». La structure sociale du pays, avec une grande partie de sa population vivant dans les montagnes, rend difficile le recensement pour avoir l’effectif réel de la population, et la localisation surtout dans les zones rurales.
Il a toujours été un défi, par manque de volonté, certains diraient même cela n’a pas été une priorité d’identifier toutes les personnes physiques vivant sur le territoire. Avant l’indépendance en 1804, La colonie Domingoise comptait 29 mille blanc (1787), 30 mille mulâtres (1788) et 455,000 esclaves (1791), soit 514 000 personnes physiques. Les premières données statistiques sur la démographie et l’évolution de la population haïtienne remonte à 1960, où l’on dénombra 3,8 millions de personnes, avec 602 000 (15,59%) vivant en zone urbaine, et la majorité des soit 3,2 millions vivant en zone rurale.
A partir de 1980, débute une migration agressive des zones rurales vers les zones urbaines liée aux politiques néolibérales de l’époque. Vers l’année 2009, la population urbaine pour la première fois surpasse celle rurale, soit 52% en 2010 pour atteindre 60,88% en 2017 (voir graphe sur l’évolution de la population, Rupture et Compromis I, Figure 15 et Tableau 5) . Plusieurs facteurs - comme les violences des gangs liées à l’instabilité politique, les déplacements pour cause de désastres naturels, par exemple le tremblement de terre du 12 janvier 2010 avec une estimation de plus de 300,000 morts ou disparus - agissent sur les déplacements de la population. Depuis 1986, l’État perd le contrôle des déplacements des populations et de leurs localisations avec le démantèlement des structures de sécurité en place, comme les chefs de section.
Les données disponibles en 2021 font état de 3 millions de personnes physiques sans actes de naissance. Une initiative présidentielle avec un décret sur la déclaration tardive de naissance, permet de donner un acte de naissance à tout individu sur confirmation de deux témoins, ce qui permit de réduire ce nombre à un million.
Encore en 2024, il est difficile de connaitre la population réelle d’Haïti et leur localisation pour différente raison, entre les migrations et les déplacements de population. Le dernier recensement remonte à 2003, plus de 21 années. Pourtant, selon les normes, les recensements de population se tiennent tous les 10 ans. Pour qu’un pays puisse développer, ses dirigeants doivent connaitre sa démographie et la localisation de sa population sur le territoire. Jusqu’à présent, on se base sur les projections pour les estimations démographiques avec toutes les limites de ce procédé. Pour ce qui est des locations des populations, le pays est encore loin d’une bonne géographie.
L’identification permet à une personne physique vivant sur le territoire d’accéder à la citoyenneté. Haïti n’avait pas de système d’identification, ni de cadre légal. Malgré tout on décompte au moins 52 actes légaux sur les états civils. Ce n’est que le 21 septembre 1987 parut le premier texte légal sur l’identification. Ce texte est suivi par le décret du 1 juin 2005 créant l’Office Nationale d’Identification (ONI) et celui du 16 juin 2020 sur la Carte d’Identification Nationale Unique (CINU) et le Numéro d’Identification Nationale Unique (NINU). L’ensemble de ces décrets et leurs périodes de publication correspondent aux exigences des élections démocratiques de 1987, 2006 et 2021 pour la reforme constitutionnelle. D’où l’objectif principal, s’identifier n’est autre que pour remplir ses devoirs de citoyenneté dont le vote aux élections entre autres.
L’identification nationale demeure un grand défi. Entre l’État Civil, les Archives Nationales, l’Office Nationale d’Identification à le Numéro d’Identification Fiscale, harmoniser l’ensemble pour éliminer les confusions afin d’avoir une meilleure compréhension de la démographie pour une identification unique de la population dès la naissance, reste un défi à relever par l’État. Un fait est que sur les 12 millions d’Haïtiens estimés, 6 millions restent encore non identifiés.
Malgré le fait que le problème légal soit adressé, les investissements pour l’identification soient faits, la nécessité de l’identification soit démontrée, en dépit de tout, le système bureaucratique de l’État haïtien est réticent aux changements. L’application du décret du 16 juin 2020 n’est jamais totalement effective. Certains ministères, comme le Ministère de l’Économie et des Finances refusent d’abandonner l’utilisation de son NIF au profit du CIN, malgré les exigences du décret.
Cependant, les efforts de l’ONI et sa connexion en temps réel avec le Conseil Électoral Provisoire (CEP) permet à ce dernier d’obtenir les données pour constituer les registres électoraux nécessaires dans la préparation des élections. Des registres, le CEP peut extraire les listes électorales qui servent dans les bureaux de votes à identifier les votants potentiels, un élément fondamental dans la fiabilité des élections. Le grand défi du CEP, est de gérer les enregistrements des déplacements pour faciliter le vote des citoyens dans les bureaux appropriés par rapports à leurs adresses.
Selon les projections de l’IHSI, on estime à 8 millions d’Haïtiens en âge de voter. L’ONI a déjà 6 millions de citoyens identifiés dans sa base de données avec un Numéro d’Identité Nationale Unique (NINU). Malgré tout, le taux de participation aux élections demeure très bas, 2 millions de votants en 2006 contre 1.2 million en 2011 et en 2015-2016, soit 20% de participation. Pourquoi ce désintéressement et ce mépris pour les élections ? De la déclaration d’un des Présidents du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), « c’est le blanc qui veut des élections, ce n’est pas le peuple haïtien », ces données sur la participation prouve-t-elle cette assertion ? Ce qui nous amène à la question initiale de notre première émission, quel régime politique pour Haïti ? La démocratie est-elle une exigence pour Haïti ?
Même quand la question de l’identification serait adressée pour faciliter la fiabilité des élections, la participation effective de la population aux élections demeure un objectif encore loin à atteindre.