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Émission 10 : Haïti : Les jeunes face à la politique, l’économie et leur avenir
L’Édito de Mathias Pierre
Les jeunes par rapport à la politique, l’économie et leur avenir, quel est l’impact de l’insécurité sur votre vie ?
Dans la perception générale de la majorité des jeunes, Haïti est une galère à abandonner. L’avenir de la jeunesse est incertain. Il y a un sentiment pour la majorité que la solution est de laisser le pays par n’importe quel moyen. Très peu de jeunes se résigne à y rester, peut-être parce qu’ils n’entrevoient pas la route de sortie, donc ils s’adaptent à une vie au jour le jour. Dans l’état actuel du pays, l’avenir est incertain pour tous, qu’on soit jeune ou vieux. Les jeunes cessent de croire et d’espérer dans cet environnement.
Le pays est rongé par des crises politiques interminables. L’élite inconsciente et aveugle est en désarroi. Les gangs armés occupent la plus grande partie de la capitale, ce qui paralyse les déplacements d’un point à un autre. L’effet de l’insécurité dans la capitale, le centre économique du pays, est néfaste. La nation est en faillite. Très peu de secteur économique arrive à survivre de cet état de fait, qu’il soit dans la construction, les petites et moyennes entreprises, le commerce ou l’industrie. Quand les ports et les aéroports sont fermés dans un pays, il est difficile de parler d’une économie fonctionnelle. L’économie d’Haïti est effondrée, depuis des années, la croissance économique est négative. Ce qui a des impacts désastreux sur l’emploi. L’État et les groupes armés sont les seuls grands créateurs d’emplois dans le pays actuellement, mise à part quelque grandes entreprises de téléphonie et les banques. On se retrouve avec une jeunesse dont l’avenir est hypothéqué. En absence d’un parent ou d’un ami dans la diaspora pour un petit support financier, on se demanderait comment serait la vie des jeunes.
Dans sa constitution, Haïti est une république démocratique, mais La démocratie haïtienne est en veilleuse. Il n’y a pas eu d’élections dans le pays depuis plus de huit années. Certains prônent un retour à l’ordre démocratique pour atteindre une certaine stabilité politique, mais la situation sécuritaire laisse beaucoup de doute sur une solution dans le court terme. Il y a une absence claire de stratégie pour le rétablissement de la sécurité. Le droit civique et politique de la jeunesse est systématiquement supprimé, quand un jeune haïtien de 24 ans, lors des dernières élections de 2015-2016 avait 16 ans, n’a jamais eu l’opportunité de voter. Quoi de plus flagrant en termes de violation des droits humains ? Où est la république ? Peut-on croire à la démocratie ?
Déjà, le pays faisait face à un manque flagrant d’universités. L’accès à l’université pour les jeunes est un dilemme. L’université d’État d’Haïti d’une capacité d’environ 12,000 étudiants est en crise depuis des années. Les universités publiques départementales sont mal équipées et mal structurées. L’offre universitaire étatique démontre le désintérêt de l’État pour la préparation de jeunes professionnels. La contre-offre est l’université privée, sans fonds de support, avec des étudiants pauvres, incapables de payer, il en résulte que la qualité de la formation offerte est tout simplement mauvaise. Conséquence, le jeune, sacrifié, passe entre deux et cinq ans pour l’obtention d’un diplôme professionnel ou universitaire, au moment de l’avoir se voit réclamer des sommes faramineuses pour le support à la rédaction de sa mémoire ou son projet de sortie. Il va continuer la route de la vie sans aucunes licences ou diplômes. Lorsqu’on sait que plus de 60% de la population est jeune, on peut se demander qu’en fait-on au capital humain de relève ?
Haïti est un pays avec une absence totale d’infrastructures, dont l’électricité. L’internet est un luxe les compagnies de téléphone offrent le mégabyte à un prix exorbitant, et inaccessible aux jeunes. Il n’y a pas de bibliothèques communales et la seule grande bibliothèque nationale fut détruite et pillée par les gangs armés. N’en parlons pas de centres de loisir, à l’exception des clubs de danses pour la consommation d’alcool, le seul vrai loisir est la musique. L’ordinateur est inexistant pour les jeunes, pas parce qu’ils sont inaccessibles pour les prix, mais sans électricité et internet, son utilisation devient impossible. Le téléphone portable, devient le seul instrument technologique d’accès à l’internet pour les recherches, l’utilisation des réseaux sociaux et l’écriture pour certains sans une réelle capacité de recherche approfondie pour les plus doués.
Dans de telles circonstances, le refuge de la majorité des jeunes est l’alcool, le sexe et le banditisme. Quand on décompte la quantité de jeunes qui consomme l’alcool comme moyen d’évasion, à côté des autres drogues qui sont peut-être moins accessible par manque de moyens économiques, on peut se demander s’il est possible de construire un pays avec des alcooliques. On saurait oublier le corollaire de l’alcool, le sexe et toutes les formes expériences sexuelles et d’utilisation de produit d’endurance pour les hommes, un petit regard sur les médias sociaux Tiktok ou IG peut donner une idée des pratiques sexuelles de la jeunesse. Les plus pauvres des quartiers défavorisés pour la plupart sont recrutés par les gangs armés. Ils sont enrôlés comme soldats et payés pour terroriser la population. Une petite catégorie de jeunes s’implique dans la politique, sans encadrements, ni préparations par absence de partis politiques institutionnalisés, pour des opportunités d’emplois et certains pour des visas de voyages afin de laisser la galère.
Certains jeunes n’abandonnent pas malgré tout, on peut remarquer quelques mouvements pour se positionner, qui émergent pour tenter de mobiliser sur les problématiques sociales, politiques et économiques. Certains se concentrent sur les grands défis de la nation et positionnent pour faire partie de la solution. Cependant, il est certain que sans des élections pour permettre à ces jeunes de choisir les dirigeants qu’ils croient capables de porter leurs désidératas au plus haut niveau de l’État, le problème de la jeunesse demeurera entier. Une particularité pour la génération impliquée dans les mouvements politiques de ces derniers temps, leurs luttes ne sont pas pour intégrer le système politique et être porteur de changement profond, c’est plutôt pour se creuser un espace dans le système actuel à des fins économiques. Ainsi les jeunes politiciens, inexpérimentés pour la plupart, qui émergent ne dansent que la même dance que les vieux plus madrés, à peut-être un rythme différent.
Les idées fortes de la jeunesse sont uniquement que les vieux soient remplacés par eux. L’ôte-toi que je m’y mette. Sans des partis politiques institutionnalisés pour le transfert des expériences politiques, des espaces intellectuels de transmission des connaissances et expériences, des universités pour le transfert du savoir, il est extrêmement difficile d’avoir une jeunesse prête à être le moteur du changement qu’Haïti a besoin pour faire son saut qualitatif. Il n’existe pas de génération spontanée.
Les jeunes haïtiens peuvent être catégorisés en trois groupes, aisés, moyens et pauvres qui vivent dans trois mondes divergents dans le même pays. Ils ont la même identité au niveau des médias sociaux utilisés de manière excessive dans les limites de leurs possibilités. Les jeunes maitrisent la plupart des plateformes, YouTube, Instagram (IG), TikTok, X (Twitter), Facebook, SnapShot, Telegram, Whatsapp, etc. Le niveau de production est significatif mais une production sans contenu valable. Au niveau théâtral, de la production musicale, les sujets les plus communs sont le sexe, l’alcool, le dénigrement des femmes. Dans les trois catégories de jeunes, le décor peut les différencier sur les réseaux mais le contenu est identique, une conséquence de la crise éducationnelle qui traverse le pays.
L’influence de la culture noire américaine sur la culture des jeunes haïtiens, est un facteur non négligeable. Il y a une invasion en termes de comportement, vestimentaires, présentation, consommation, music, sexualité que la génération de 15 ans plutôt considérait comme des dépravations. A regarder un jeune haïtien, on aurait du mal à le distinguer d’un jeune américain noir dans l’apparence des cheveux et vestimentaire. Les groupes évoluent dans des environnements totalement différents, mais les jeunes haïtiens puissent beaucoup des cultures noires américaines, même pour parfaire leurs techniques de banditisme ou l’art de l’utilisation des armes. Sans négliger la sexualité, l’homosexualité est devenue la mode en Haïti et les jeunes s’exposent sans aucune crainte.
Face à tous ces défis, les jeunes s’adaptent et parfois même en s’adaptant, il lui est difficile de construire une vision d’avenir dans un tel environnement. Certains fuient la réalité, d’autres nourrissent l’espoir de laisser un jour pour la terre promise, par terre, mer ou air, là tous les moyens sont bons, pourvu d’arriver à destination. L’avenir du jeune haïtien est incertain dans un pays sans avenir.
Face à ce constat, la question à répondre : Que faire ? Il est certain qu’il n’y a aucune politique de jeunesse, aucun souci pour l’amélioration des conditions de la jeunesse. Les jeunes haïtiens sont un capital humain inadapté pour intégrer la modernité. Tant au niveau politique, économique et social, il est impératif au pays de construire son capital humain par une prise en charge à tous les niveaux, éducation, loisir, encadrement organisationnel et culturel pour redonner espoir et construire une société moderne. Dans l’état d’esprit des jeunes actuels, l’état du système d’encadrement et d’accompagnement de la jeunesse sans une attention spéciale et une politique axée sur la jeunesse, il sera difficile d’avoir un pays différent dans les 20 prochaines années.