Je suis Haïtien. Je réponds à la lettre de ma chère amie Sénégalaise.
Chère amie,
La jeunesse haïtienne a pris acte de votre lettre, et personnellement je ne saurais dire combien ma conscience a été fouettée. Avant tout essai de vous éclairer sur le fond, permettez que j’évacue, dans les préambules de mes propos, tout ce que ma démarche n’est pas. Elle ne constitue pas argument de conscience soutenu en réplique comme si vous nous aviez amené devant un tribunal. Il ne s’agit pas non plus d’une justification, insoutenable serait-elle d’ailleurs, d’une passivité haïtienne.
Veuillez m’excuser de ne pas revenir sur les images qui vous ont conduites à nous écrire. Images qui, à double sens, pourraient constituer une représentation d’une quête de bonheur et un acte inhumain. Mais en toute parcimonie, rappelons que les faits historiques postcoloniaux en Haïti sont complexes et, par conséquent, méritent une étude holistique afin de bien les appréhender.
En réalité, j’ai bien compris que ce n’est pas cet aspect qui vous intéresse, mais notre qualité d’héritiers des pères de l’indépendance de la première République noire dans le monde.
Chère amie,
Remettez en question notre qualité d’héritier des pères de l’indépendance revient à poser un acte d’incompréhension, voire de mépris, sans qu’au fond vous ne saisissez pas les efforts de résistance face aux paradigmes de ce nouveau monde post colonial.
À cet effet, je vous convie à prendre connaissance de l’étude réalisée par Leslie Alexander sur les relations entre les États-Unis et Haïti « Fear of the black Republic : U.S Haitian Relations in the Aftermath of the Haitian Revolution »1 présentée à ARIZONA STATE UNIVERSITY, le 21 novembre 2019.
En revanche, des études haïtiennes ont déjà démontré les causes de nos malheurs (Edmond Paul), les racines du sous-développement (Benoit Joachin), la décadence de notre progrès social, économique, et politique (Fritz Jean, Alain Turnier, etc…). La question n’est pas de savoir si nous sommes ou pas les fils ou filles de Dessalines ou de Henry Christophe, mais bien celle de savoir à quel moment dans histoire notre de société, nous avons commencé à faire des choix insensés.
Car, le sort d’Haïti, en terme de gouvernance, reste un cas d’étude dont les résultats ne seraient pas différents ailleurs si un pays oserait rater des occasions de faire des choix de gouvernance intelligente.
Sur ces bases, notre qualité d’héritiers n’est pas en cause, mais bien notre responsabilité devant nos choix historiques. Personnellement, je suis résolu que le fouet de conscience n’est a priori insuffisant, et encore moins une panacée aux maux du pays. D’où, je crois, profondément, que le sens du devoir d’être Haïtien.
Notons que la constitution de 1805 de Dessalines a défini la qualité d’être Haïtien comme le fait d’être bon parent, bon soldat et bon citoyen. Il reste le sentier du siècle à bâtir par la jeunesse de mon pays.
Chère amie,
D’où nous venons et nos apports à l’humanité en tant que peuple peuvent confirmer les propos de Hugo Chavez « un peuple d’espoir. » Moi, pour avoir connu et connaître ce peuple, je vous fais la promesse que vous verrez Dessalines, Henry Christophe et Capoix, et cela chaque jour, dans leurs yeux, leur sourire, leur terrible volonté de vivre toujours avoir un espoir meilleur.
De toute évidence, la situation est critique, sale et intenable dans mon pays. Mais cela ne nous enlèvera jamais notre qualité d’héritiers de nos fiers aïeux, héros des combats pour la liberté, l’égalité et la dignité de tout homme à l’issue desquels vous, mes Cousins Africains, et l’humanité toute entière peuvent s’en réjouir.
Oui, chère amie, nous sommes les héritiers de Dessalines, de Henry Christophe.
Votre cher cousin Haïtien, Wilem Jean
Depuis Strasbourg, le 23/09/2021