Chère Fatoumata,
J’ai lu votre lettre ouverte avec beaucoup de tristesse. Vous avez fait bien des rappels autour de notre glorieux passé, cependant, je ne retiens au fait que votre dernière question que bien plus qu'une simple question, est un cri de l'âme.
Qu’êtes-vous devenus, même ?
En toute sérénité, comment puis-je croire que ce peuple, mon peuple a eu à conquérir notre liberté avec tant de prouesse ? Ne serions-nous pas par hasard des usurpateurs de titre et de gloire ?
Au fait, depuis 1804, passant par 1986 et 2004 et plus près encore, 2010, nous avons systématiquement raté (à volonté j'insiste à croire) l’opportunité de monter à bord du train de la construction d’une nation.
Vous dites que nous vous avons humilié, préparez-vous a ce que l’on vous coupe le caquet, car je suis sûre et certaine d’une chose : “On ne peut donner que ce que l’on a” et nous, nous avons un vase ou en déborde
humiliation, avanie, honte et affront que l'on reçoit à ration double tant par l’étranger qui nous occupe et s’insinue toujours dans nos affaires, que par nos propres dirigeants et gouvernants qui se complaisent à nous jurer monts et merveilles dans leur discours vides, creux et chimériques
Qu’êtes-vous devenus, même ?
Devenus la risée du monde, rejetés par des nations, pris en pitié par d’autres, nous sommes devenus une plaie béante et répugnante que nulle ne peut guérir, car toujours mal diagnostiquée, et ceci avec et sous l’œil conspirateur et indifférent de tous ceux qui ont pour devoir d’éviter que
la plaie se gangrène.
Dessalines, Louverture et Christophe doivent se retourner dans leur tombe en voyant ce que nous avons fait de leur sueur et de leur sang coulés pour notre liberté. Ils n'ont jamais su qu’ils commettaient le plus grand crime de l’histoire aux yeux de ceux qui croient et contribuent à ce jour a que nous restions
des esclaves.
Un commentateur a dit plus haut que nous sommes en train de prendre du recul afin de mieux bondir en avant. Sans vouloir être oiseau de mauvaise augure, je ne suis point convaincue que ce soit le cas, car prendre du recul, c’est taire les émotions, discuter les stratégies, réveiller les patriotes et regagner le champ de bataille
Prendre du recul, c’est observer le panorama global afin de rassembler les troupes pour débattre les tactiques et lever les armes.
Prendre du recul ne saurait être en aucun cas, mettre sa vie et ses rêves effrités dans une vieille mallette de bois et aller se faire devorer par les cochons sauvages en traversant l’Amérique latine
Le recul ne devrait pas être abandonné son pays et ses siens pour faire l’expérience de l’altérité en faisant cap vers un pays inconnu et qui ne veut pas de vous.
Fatoumata,
Merci d’avoir encore une pensée pour nous depuis votre Sénégal lointain, merci de nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons.
Malheureusement, vous devrez attendre encore longtemps avant de retrouver votre fierté, car cela fait des décennies que nous ne vivons que de notre passée, et en vérité, si glorieuse eut-elle été, elle nous a fait plus de mal que de bien, vu qu’à ce jour, nous avons erigé une barrière si tellement haute autour de nos prouesses historiques, qu’il nous est jusqu’a aujourd’hui impossible de la dépasser et, voire la surpasser.
Fatoumata,
Le chemin sera long, difficile et douloureux.
Qu’êtes-vous devenus, même ?
Nous sommes devenus des mollusques et des léthargiques mentalement engourdies. Il faudra que l’on nous greffe une colonne vertébrale pour nous remettre sur pied.
Nous sommes devenus des laissés pour compte et nos dirigeants ne nous protègent pas et vendent notre liberté pour un visa ou une poignée de billets verts. Il nous faudra un leader conscient,patrioteet visionnaire qui puisse mener le troupeau a bon port tout en creant l’autorité et la confiance
Nous sommes devenus à la fois des athées et des complices d’un système qui insiste à nous maintenir au bas fond. Il faudra que nous fassions le constat du vide et accepter l’inutilité de la démarche et ainsi prendre l’élan pour remonter à la surface.
Nous sommes devenus notre propre et pire ennemi. Il faudra attendre que nous nous réconcilions avec nous même et entre nous, et que nous concertons enfin le “dialogue national” pour décider ensemble
les paramètres d'une nouvelle nation.
Nous sommes devenus des mendiants internationaux. Il faudra attendre que nous puissions tenir tête à l’étranger, regagner notre souveraineté et patriotisme afin de prendre notre destinée en main et nous libérer du joug de tous ceux qui veulent nous maintenir avec un bol bleu dans la main.
Nous sommes devenus des citoyens acceptant que la vie n’est plus un bien et la mort n'est plus un mal. Il faudra attendre que le sang de tous nos frères innocents qu’Haïti a trahis, serve de sève à la terre séchée afin que poussent les nouvelles racines de la liberté.
Mais en attendant que tout cela arrive chère Fatoumata, nous sommes devenus des âmes zombifiées et abandonnées par nos loas, remettant nos vies a la “Bondieuserie” ... comme si cela nous avait servi
auparavant.
Bien a vous
Shallalle Figaro
Citoyenne Concernée
Haiti Septembre 2021