Au quartier-général du Poteau, le 22 octobre 1820, an 17e de l’indépendance.
Jean-Pierre Boyer, Président d’Haïti,
Aux généraux Richard, Lebrun, Prophète Daniel et Sainte-Fleur, au Cap.
J’ai reçu et lu attentivement, Messieurs, votre lettre du 19 courant. Je suis fâché que vous ayez mal interprété mes intentions, qui n’ont jamais cessé d’être favorables à la cause de la vraie liberté. Si vous eussiez réfléchi sérieusement sur la mission dont vous avez chargé le citoyen Constant Saul à Saint-Marc, sur l’envoi de vos députés (J.-J. Adonis et E. Michaud) près de moi, vous eussiez attendu leurs nouvelles avant de m’écrire la lettre que j’ai sous les yeux, et dans laquelle se trouvent des expressions peu faites pour amener une réconciliation entre des frères qui doivent, de bonne foi, vivre réunis pour le bonheur de leur pays.
Comme je n’ai jamais eu aucune vue hostile, et que toutes mes démarches se rattachent à ce qui peut consolider l’indépendance nationale, je ne m’arrêterai pas aux mois et je me réfère à ma lettre à vous adressée le 18 de ce mois, par mes aides de camp qui ont accompagné vos envoyés au Cap. J’espère que vous avez trouvé dans ma dépêche en réponse à votre ouverture (verbale), dans mon ordre du jour du 17 courant, dans le rapport de vos propres envoyés, toutes les assurances possibles sur mes intentions pacifiques. Je n’ai pour boussole que la constitution de la République, qui a été l’ouvrage des Représentants du peuple, tant du Nord que des autres départemens. Je ne suis dominé par aucune ambition particulière ; je n’agis que pour faire mon devoir. Je me plais à croire, qu’après avoir concouru à abattre la tyrannie de Christophe, vous ne voudriez pas méconnaître le gouvernement légal de la Nation et compromettre, par de fausses vues, la sécurité publique.
Je n’ai jamais fait un acte qui fût contraire à mes devoirs. En répondant à Sir Home Popham, sur sa proposition, que je formais des vœux pour la réconciliation des Haïtiens, je n’ai pu penser porter atteinte à la constitution de l’Etat ; je ne pouvais pas non plus le faire.
L’armée qui s’avance avec moi ne compte, dans le Nord, que des frères et des amis ; elle n’est point destinée à combattre : je l’ai déjà dit, et je le répète avec plaisir. Si on veut s’opposer à sa marche, on pourra l’essayer ; les premiers coups ne partiront pas d’elle ; mais, malheur à celui qui oserait donner le signal de la guerre et du deuil ! Il sera responsable à la Nation, à l’univers entier, du sang qu’il fera verser et duquel je serai toujours très-avare. La postérité le jugera d’après les faits qui seront clairement exposés aux philanthropes des deux mondes.
Signé : Jean-Pierre Boyer.