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- Liberté, Indépendance.
Au quartier-général du Cap, le 19 octobre 1820, an 17e.
Au citoyen Jean-Pierre Boyer,
Président de la République du Sud-Ouest d’Haïti.
Citoyen Président,
Les généraux, organes du peuple et de l’armée du Nord-Ouest d’Haïti, en prenant les armes pour abattre la tyrannie sous laquelle gémissaient depuis quatorze années leurs frères du Nord-Ouest, n’ont eu en vue que de rendre à la liberté et au bonheur leurs concitoyens, de substituer au gouvernement despotique et tyrannique de Christophe, des institutions justes et libérales, où chacun dût trouver sa garantie, sa liberté et ses droits. Mus par des motifs si puissans et humains, les généraux organes du peuple et de l’armée n’ont pas hésité à affronter courageusement la mort pour atteindre à ce but glorieux et honorable. Le Dieu des armées, protégeant cette sainte entreprise, l’a couronnée du succès le plus complet.
C’est au moment même où les mandataires s’occupaient de ces institutions, qui consacrent les droits du peuple, que la proclamation du président Boyer, datée de Saint-Marc le 16 du présent mois, est parvenue, où dans les 5e et 6e paragraphes, sous l’appât de récompenses proportionnées à leurs défections, il provoque les militaires à quitter leurs rangs et à méconnaître l’autorité des chefs qui les ont dirigés et conduits dans l’heureuse révolution qui vient de s’opérer et qui a fait rentrer le peuple en possession de sa liberté. Les généraux organes du peuple et de l’armée voient avec indignation que cette impulsion, soufflée par le président Boyer, tend à amener des résultats que sa sagesse aurait dû prévoir.
Par une erreur digne d’être rectifiée, le président Boyer paraît ignorer les événemens qui se sont passés dans cette partie-ci depuis le 8 du présent. Les colonels Jean-Jacques Adonis et Edouard Michaud, expédiés du Cap le 9, ont dû être arrivés à Saint-Marc, lieu de leur destination, avant le 16, époque de la proclamation sus relatée, et ont dû avoir suffisamment instruit de l’état des choses, lorsqu’ils ont quitté cette première ville.
« Le président Boyer attribue au 8e régiment le mérite d’avoir, le premier, donné l’exemple de la prise d’armes pour résister à la tyrannie. Tout en admirant la résolution déterminée de ce brave régiment, les généraux organes du peuple et de l’armée croient devoir faire connaître que c’est au Cap qu’a été conçu et exécuté le grand plan qui a renversé l’hydre de la tyrannie et du despotisme, et rétabli le peuple dans ses droits, et que cette conjuration date d’une époque bien antérieure à cette prise d’armes du 8e régiment.
« Les généraux organes du peuple et de l’armée étaient loin de penser qu’au moment où leurs envoyés étaient en route avec des dépêches pour le président Boyer, pour lui faire part de l’heureux succès de leur entreprise et de l’ordre qui règne dans tout le Nord, il eût entrepris de faire des expéditions de troupes sur différens points, pour envahir le territoire du Nord-Ouest, expéditions qui ne peuvent être considérées que comme hostiles, vu que tout est dans l’ordre, ce qui, indubitablement, amènerait à des rixes où le sang haïtien coulerait inutilement par le fait des mouvemens de quelques imprudens, lorsque les deux partis doivent être avares de ce sang précieux.
Pour obvier à ces conséquences funestes, que de semblables expéditions entraîneraient infailliblement, les généraux organes du peuple et de l’armée, pénétrés de sentimens pacifiques et du désir de vivre en parfaite union et bonne intelligence avec leurs frères du Sud-Ouest, croient devoir inviter le président Boyer à rappeler immédiatement les troupes sous son commandement, détachées dans lesdites expéditions, et à retourner sur son territoire. Dans le cas contraire, il attirerait sur lui seul toute la responsabilité du sang qui pourrait être répandu, si l’on était dans la nécessité de repousser une force envahissant injustement le territoire d’un voisin paisible et tranquille et qui, dès le premier instant, a fait auprès du président Boyer, des démarches si loyales et si dignes d’éloges.
Les généraux organes du peuple et de l’armée ne doivent pas laisser ignorer au président Boyer, qu’ils tiennent en leur possession copies de ses lettres et autres documens, dont Sir Home Popham avait fait remise à la secrétairerie d’Etat, sous le règne du tyran, dans lesquelles pièces le président Boyer manifeste le désir où il était, que la République d’Haïti fût reconnue par le gouvernement du Nord, ne prétendant pas se mêler en aucune manière du régime de ce dernier, pourvu que dans le cas d’une invasion étrangère, les Haïtiens se confédérassent pour la défense commune. D’après des sentimens si authentiquement exprimés et qui sont en harmonie avec les principes qui doivent constituer le gouvernement que le peuple du Nord-Ouest est à même de se donner, les généraux organes du peuple et de l’armée sont fondés à croire que le président Boyer n’entreprendra rien de contraire à rétablissement de ce gouvernement. Vouloir comprimer cette volonté du peuple, c’est non-seulement commettre un acte attentatoire à sa liberté, mais c’est encore s’écarter de la saine raison, c’est fouler au pied les droits les plus sacrés. Les généraux organes du peuple et de l’armée sont d’autant plus imbus de ce principe naturel, qu’ils croient avoir autant de droits à la gratitude de leurs concitoyens que le président Boyer lui-même à celle du peuple du Sud-Ouest, et que, par conséquent, ils se croient fondés à commander légalement et constitutionnellement à leurs concitoyens, comme lui-même le président Boyer doit se croire fondés à commander à ceux qui ont confié leurs destinées entre ses mains.
Tous ces motifs, franchement exposés, les généraux organes du peuple et de l’armée se flattent que le président Boyer prendra la détermination qui, seule, convient à son caractère et à son honneur, et qui, seule, peut lui mériter les éloges, l’estime et l’admiration des philanthropes de tous les pays, qui, avec l’Europe entière, ont les yeux fixés sur nous ; nous voulons dire, l’évacuation de la partie de notre territoire envahie et sa restitution dans toute son intégrité.
Signé : Lebrun, Richard, Prophète Daniel, généraux de division le général de brigade Jean-Joseph Sainte-Fleur.