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Émission 14 : Les Coopératives en Haïti
L’Édito de Mathias Pierre
Une réflexion sur l’économie rurale haïtienne : les opportunités oubliées de l’économie sociale et solidaire.
L'économie rurale haïtienne, souvent qualifiée de «pays en dehors», repose sur trois piliers essentiels pour la survie des communautés : le «konbit», le marché et la coopérative. Ces trois structures, bien que distinctes, s’articulent autour d’un principe commun : la solidarité économique, unissant les efforts et les ressources individuelles pour accomplir des objectifs collectifs. Pourtant, dans un contexte où les défis socio-économiques demeurent omniprésents, les coopératives, en particulier, offrent un potentiel unique pour dynamiser les zones rurales et doivent être soutenues et renforcées comme modèle prioritaire. Mais pourquoi ce modèle mérite-t-il une attention et un soutien accrus ?
Une solution structurelle aux défaillances du système financier
Dans les zones rurales haïtiennes, l'absence des banques traditionnelles a laissé un vide béant dans l'accès au financement. Les coopératives, qu’il s’agisse de caisses d’épargne et de crédit ou de coopératives agricoles, jouent un rôle crucial en offrant des solutions adaptées aux réalités locales. Elles permettent aux membres de mutualiser leurs ressources et de financer des projets allant de l’acquisition de semences à la commercialisation des récoltes. Cependant, ce modèle est confronté à une problématique majeure : les exigences en matière de garanties, imposées par les régulateurs financiers comme la Banque de la République d’Haïti (BRH), limitent considérablement l’accès des sociétaires aux prêts, même lorsque les fonds sont disponibles.
Pour lever cet obstacle, il est impératif de mettre en place un Fonds de Développement des Coopératives, qui servirait de mécanisme de garantie. En comblant le déficit structurel de garanties, ce fonds permettrait aux coopératives d’étendre leurs services et de stimuler un développement économique inclusif dans les zones rurales. Ce modèle n’est pas simplement une alternative : il est une nécessité dans un pays où plus de la moitié de la population vit en milieu rural et est exclue des circuits financiers classiques.
Une réponse adaptée aux défis du développement entrepreneurial
Les micros, petites et moyennes entreprises (MPMEs) représentent l’épine dorsale des économies émergentes. Pourtant, en Haïti, elles peinent à trouver des financements adaptés, en particulier en milieu rural, où le microcrédit reste la seule option disponible. Avec ses taux d’intérêts élevés, ce dernier limite la croissance et la viabilité des entreprises naissantes. Les coopératives, en revanche, offrent une alternative structurée et durable : elles démocratisent l’accès au crédit tout en favorisant une redistribution équitable des bénéfices au sein des communautés.
Mais pour maximiser leur impact, les coopératives doivent être soutenues par des politiques publiques ambitieuses. En plus de la création d’un fonds de garantie, l’État pourrait :
- Alléger les contraintes réglementaires, en adaptant les critères d’octroi de crédit aux réalités des sociétaires ruraux.
- Offrir des incitations fiscales aux coopératives, renforçant leur capacité à réinvestir leurs bénéfices dans les communautés.
- Investir dans des programmes de formation et de renforcement des capacités pour les gestionnaires de coopératives, garantissant une gestion transparente et efficace.
Ces mesures ne relèvent pas uniquement d’une question de justice sociale, mais aussi d’un impératif économique : en dynamisant les zones rurales, le développement des coopératives peut agir comme un levier majeur pour la croissance nationale.
Un modèle aux impacts multiples
Au-delà de leur rôle financier, les coopératives présentent des avantages sociaux et économiques uniques qui en font un outil stratégique pour le développement rural. Contrairement aux banques commerciales, orientées vers le profit, les coopératives répartissent leurs excédents parmi leurs sociétaires. Ce modèle, en redirigeant les gains vers les communautés locales, contribue directement à l’amélioration des conditions de vie et à la réduction des inégalités.
De plus, en favorisant la création d’emplois et en soutenant l’esprit entrepreneurial, les coopératives peuvent stimuler un cercle vertueux de développement. En Haïti, où l’État est encore le principal pourvoyeur d’emplois, encourager un modèle d’économie solidaire pourrait réduire la dépendance aux institutions publiques tout en créant une base économique plus résiliente.
Un argument pour l’institutionnalisation et l’incitation
Pour que le modèle coopératif atteigne son plein potentiel, il doit être reconnu comme une priorité nationale et bénéficier d’un soutien institutionnel fort. L’État haïtien, en tant que régulateur, doit jouer un rôle clé pour :
1. Créer un cadre législatif favorable qui soutient les coopératives dans leur développement, tout en garantissant leur transparence et leur pérennité.
2. Faciliter l’accès au financement, non seulement via le Fonds de Développement des Coopératives, mais aussi en encourageant les partenariats avec les acteurs internationaux du développement.
3. Promouvoir la coopération intercommunale, en reliant les coopératives locales à des réseaux régionaux et nationaux pour maximiser leur impact.
La question devient alors urgente : dans un pays où la pauvreté rurale reste l’un des principaux défis, pourquoi ne pas investir davantage dans un modèle qui a déjà prouvé son efficacité ailleurs ? Le potentiel des coopératives en Haïti est immense, mais il reste sous-exploité. En leur offrant un cadre propice à leur essor, l’État pourrait transformer ce modèle en un pilier stratégique de son développement économique.
Une opportunité à saisir
Dans un pays où les défis structurels semblent insurmontables, les coopératives offrent une voie claire et tangible vers un développement inclusif et durable. Elles incarnent non seulement une réponse aux faiblesses du système financier et entrepreneurial, mais aussi une vision d’avenir pour une économie haïtienne plus équitable. Saisir cette opportunité, c’est investir dans l’avenir des zones rurales, redonner confiance aux populations marginalisées et construire les bases d’une croissance économique qui profite à tous.

