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Émission 12 : Les collectivités territoriales, la mairie et la démocratie en Haïti.
L’Édito de Mathias Pierre
Monsieur le Maire, son rôle dans la ville ou dans la commune?
La constitution haïtienne définit le rôle des maires dans les communes et dans les collectivités. Dans la constitution de 1987, on peut lire dans l’article 66 que « La Commune a l'autonomie administrative et financière. Chaque Commune de la République est administrée par un Conseil de trois (3) membres élus au suffrage universel dénommé́ Conseil Municipal. » Plus loin dans son article 66.1, elle stipule que « Le Président du Conseil porte le titre de Maire. Il est assisté de Maires-adjoints. » Donc les communes sont gérées par un conseil à sa tête un Président qui remplit la fonction de maire de la commune ou de la ville.
Le Conseil Municipal a la responsabilité de l’organisation de la commune ou de la ville dans les collectivités territoriales. Les deux articles suivant de la constitution fournissent des détails plus spécifiques sur la responsabilité des Conseils Municipaux présidés par les maires, surtout sur l’étendue de leurs pouvoirs, particulièrement sur les domaines publics de l’État. L’article 73 de la constitution stipule que « Le Conseil municipal administre ses ressources au profit exclusif de la municipalité́ et rend compte à l'Assemblée municipale qui elle-même en fait rapport au Conseil départemental. » C’est une grande responsabilité financière et de gestion attribuée aux maires, à laquelle il faut rendre compte aux constituants, et la loi mère prévoit une instance de contrôle de ce pouvoir étendu.
Plus loin dans son article 74, on peut lire dans la constitution que « Le Conseil municipal est gestionnaire privilégié des biens fonciers du domaine privé de l'État situés dans les limites de sa Commune. Ils ne peuvent être l'objet d'aucune transaction sans l'avis préalable de l'Assemblée municipale. » C’est un pouvoir étendu sur les biens fonciers de l’État. Il faut reconnaître que si dans certaines communes les maires arrivent à fonctionner et remplir leurs missions, il est difficile de croire que les conseils fonctionnent comme prescrits dans la constitution, de même que les assemblées municipales.
La constitution de 1987 dans sa conception prévoit une décentralisation du pays avec des collectivités autonomes pour un développement communal effectif. Dans la réalité les lois pour matérialiser la décentralisation n’ont jamais été mises en vigueurs, pour certaines n’ont jamais été votées au parlement. L’État central n’a jamais voulu céder le contrôle des finances des collectivités aux communes pour un impact positif sur l’état des villes. Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales (MICT) maintient un contrôle strict financier sur les communes et les sections communales de sorte que les élus municipaux soient toujours dépendants des fonctionnaires de l’État central. C’est une particularité haïtienne qui a ces conséquences sur l’état de communes et des villes, à savoir le délabrement, l’insalubrités sans écarter les infrastructures désuètes.
Dans les communes, les infrastructures des villes, l’électricité, l’eau, le téléphone et la sécurité, tous subissent la défaillance de l’État central. Il y a des particularités dans la gestion des villes et des communes d’Haïti qui sont sources de problèmes au développement, par exemple la gestion de la sécurité greffée sur le modèle français avec une police centralisée qui peine à fournir la sécurité réelle. D’autre modèle comme celui des États-Unis où chaque ville gère sa sécurité avec une police locale supportée par d’autres forces nationales ou fédérales. A côté de la sécurité, il y a la gestion des ordures, un système centralisé, peut être unique avec Service Nationale de Gestion des Résidus Solides (SMGRS) pour le ramassage et la gestion des ordures par un organe national. La gestion des ordures et résidus des 146 communes de la république sous le contrôle d’un seul organe avec un directeur général à la capitale victime de toute la lenteur administrative étatique. C’est tout simplement créer une instance de centralisation de la corruption dont le résultat est l’état de salubrité dans laquelle se trouve nos villes.
D’autres aspects non négligeables dans le développement des communes, c’est une absence totale de vision locale de modernisation et de gestion des villes. Il est difficile de voir des villes qui progressent mise à part Delmas, la majorité ne font que régresser. Les citoyens des communes n’ont pas la responsabilité de leurs communes, donc difficile de participer au développement d’une vision de modernisation.
Il y a toujours en Haïti, une confusion entre le rôle du député et celui du Conseil Municipal présidé par le maire. Cette confusion est surtout accentuée après chaque élection législative et municipale. De facto, il y a un certain nombre de députés qui se transforment en député-maire, agent de développement, dans le but de capter les ressources budgétaires de l’État destinées au développement des municipalités. Ces agents improvisés utilisent leurs influences auprès de l’exécutif pour empêcher les maires d’accomplir leurs missions. Est-ce qu’une réforme constitutionnelle pourrait aider à une résolution, une question pertinente dont la réponse est difficile à trouver ?
Delmas est une ville modèle, et peut être l’unique, en dépit de toutes les contraintes évoquées antérieurement. Sur les 15 dernières années, le niveau développement de cette commune est visible malgré le niveau de désordre qui règne dans la gestion des collectivités du département. Malgré tout, la ville est quand même affectée par le manque d’infrastructures électriques, téléphoniques, tandis que le développement routier est significatif et le niveau de propreté acceptable. Tout ceci est possible grâce à la vision et ce sens de continuité d’un conseil municipal, pas tout à fait fonctionnel suivant la constitution mais acceptable de par l’engagement du maire principal.
L’avenir des villes haïtiennes dépendent de leur détachement de l’emprise de l’État central pour une gestion locale et un contrôle centralisé. Ce dernier est critique pour éviter des dérives, et surtout faire les audits de la gestion des conseils municipaux autonomes. Cet organe de contrôle devrait aussi permettre le fonctionnement réel des assemblées pour la cohésion entre les conseils municipaux, les CASEC et les constituants pour de meilleurs résultats. Le développement d’Haïti via le développement de ses villes ou communes sera possible par une prise en charge des populations locales dans la gestion de leurs communautés.

