Le présent document étudie à l’aide d’un modèle à composantes inobservables, la faisabilité d’une union économique et monétaire (UEM) entre Haïti et la République dominicaine, deux pays partageant géographiquement le même territoire, mais dont l’histoire est parsemée de conflits et de résultats économiques divergents notamment en matière de croissance. Pour autant, peut-on, malgré les obstacles du passé et les incompréhensions du présent envisager un processus d’intégration, allant jusqu’à la création entre les deux pays d’une union économique et monétaire ? L’objectif de l’étude est d’identifier et d’évaluer le degré d’(a) symétrie des chocs macroéconomiques au sein des économies en question afin d’apprécier la pertinence ou non de l’instauration d’une UEM entre elles. Les résultats révèlent la fragilité aujourd’hui de ce processus d’intégration en raison de la faible convergence des politiques économiques entre les deux pays. La désagrégation des chocs issue de notre modèle confirme cette asymétrie des comportements, asymétrie expliquée par le faible poids des composantes communes notamment par les chocs de politique économique domestiques. Cependant, l’endogénéité de la plupart des critères retenus plaide en faveur d’un agenda visant à créer à moyen terme les conditions d’une plus grande convergence entre les politiques économiques des deux pays, conditions qui, une fois réunies, faciliteraient pour l’avenir leur implication dans un schéma d’intégration plus poussé par rapport au présent.
Introduction
Cette étude analyse à l’aide d’une modélisation à composantes inobservables, la faisabilité d’une union économique et monétaire entre Haïti et la République dominicaine afin d’estimer dans quelle mesure, les chocs et notamment les chocs de politique économique ont une composante commune, susceptible de déboucher à terme sur une coordination des politiques économiques. Ce faisant, nous cherchons à répondre à un certain nombre de questions liées à la faisabilité d’une union économique et monétaire et fondée sur les comportements des cycles. En premier lieu, Haïti et la République dominicaine sont-ils frappés par des chocs de même nature —chocs domestiques, extérieurs, réels, nominaux ou financiers — sur la période étudiée (1990-2013) ? Cette question est importante, car l’identification de réactions différentes face à des chocs extérieurs et domestiques peut donner des indications sur le degré de convergence des politiques économiques entre les pays. En deuxième lieu, quelle est l’importance respective des chocs communs et spécifiques dans les pays étudiés ? Autrement dit, ces deux pays remplissent-ils aujourd’hui les conditions d’une zone économique et monétaire optimales ? La réponse apportée à chacune de ces interrogations majeures est fondamentale pour apprécier la pertinence ou non d’une UEM. Ainsi, de faibles composantes communes impliquent d’importants ajustements des taux de change. Une UEM dans ce cas deviendrait extrêmement difficile à gérer. Cette faiblesse peut aussi signifier des réactions différentes des économies aux chocs et donc une absence de convergence. Dans ce contexte, notre approche met l’accent principalement sur la synchronisation des cycles entre pays, sur les mécanismes de propagation des chocs et sur leurs composantes commune et spécifique. À cet égard, il convient de souligner qu’un certain nombre de travaux se sont penchés dans le passé sur la décomposition des cycles en composantes commune et spécifique, quelques-uns de ces travaux ont porté notamment sur des pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe (Loayza et al., 2001 ; Karras, 2003 ; Allegret et al., 2010). D’autres recourent à la modélisation VAR ou VECM de manière à rendre compte de la réaction des économies à des chocs (Fanelli et al., 2003 ; Ahmed, 2003 ; Hallwood et al., 2006 ; Pinto Moreira, 2010).
Notre étude vise à qualifier les chocs qui frappent les économies de Haïti et de la République dominicaine et à en déterminer leur degré de symétrie. Elle se distingue de la littérature précédente en ce qu’elle permet de répondre aux limites rencontrées par les modélisations VAR traditionnelles qui mettent l’accent pour la plupart sur la corrélation des chocs sans les désagréger en composantes commune et spécifique à chaque pays.
L’étude est structurée comme suit : la première section porte sur les fondements économiques d’une union économique et monétaire et les coûts qu’elle implique. La seconde section est consacrée à une analyse descriptive des principaux critères de convergence entre Haïti et la République dominicaine ainsi qu’à leurs tendances évolutives. La troisième section aborde la méthodologie et emploie un modèle à composantes inobservables pour déterminer si les chocs notamment de politique économique permettent de déceler la présence ou non de composantes communes nécessaires à la coordination des politiques économiques. La quatrième et dernière section présente la conclusion de l’étude ainsi que ses implications politiques.
1. Pourquoi une union économique et monétaire ? Avantages et inconvénients
Le principal motif économique d’adoption d’une union économique et monétaire est d’ordre à fois micro-économique et macroéconomique. Il n’est pas vain de rappeler qu’une UEM est le regroupement volontaire de pays qui décident d’adopter une monnaie unique et d’ouvrir leurs marchés économiques pour former une zone de libre-échange. Son adoption est généralement précédée de quatre étapes intermédiaires :
- la zone de libre-échange qui correspond à une suppression des droits de douane et limitations quantitatives d’importations entre les pays membres ;
- l’union douanière qui est une zone de libre-échange, dotée d’un tarif extérieur commun ;
- le marché commun qui est une union douanière où les facteurs de production peuvent circuler sans entrave d’un pays à l’autre ;
- l’union économique qui est un marché commun, marqué par l’harmonisation des politiques économiques des différents états membres.
Pour qu’elle soit efficace économiquement, l’UEM et les pays qui la composent doivent respecter un certain nombre de critères. En effet, selon les concepteurs de la théorie des zones monétaires optimales (ZMO), R. Mundell (1961) et R. Mc Kinnon (1963), des pays dont les prix et les salaires sont relativement rigides ont intérêt à créer une union monétaire, c’est-à-dire à établir une parité fixe entre leurs taux de change. Cela est possible si ces pays se sont déjà fortement intégrés par le commerce, par les flux de capitaux et de travail ; s’ils sont sujets à des chocs macroéconomiques simultanés et de même nature, rendant inutile le recours à la dévaluation ; si leurs gouvernements ont les mêmes préférences entre l’inflation et la croissance ; et s’ils ont la volonté de coordonner leur politique macroéconomique. En effet, la coordination des politiques budgétaires peut être néfaste si elle n’est pas elle-même coordonnée avec la politique monétaire, car cela revient à coordonner un ensemble de pays qui ne poursuivent pas nécessairement le même objectif.
Cependant, la théorie des ZMO a été remise en cause dans le passé par certains auteurs tels que Frankel et Rose (1997) qui privilégient la thèse de l’endogénéité des critères. Ces auteurs soutiennent que même si la satisfaction des critères d’optimalité n’est pas avérée (ex ante) avant l’unification des monnaies, il est assez probable qu’elle le devienne (ex post) suite aux effets bénéfiques de l’union. Les critères des ZMO seraient en réalité endogènes, de sorte qu’« un examen naïf des données historiques donnerait une fausse idée de l’aptitude d’un pays à rejoindre une union monétaire » (Frankel, 1997). L’idée de base est que la corrélation des cycles s’améliore avec l’intensification des échanges et que la formation d’une union monétaire encourage cette dernière. Krugman (1993) et Eichengreen (1992) pour leur part, avancent un argumentaire opposé : la thèse de la spécialisation. Ils soulignent que l’intégration monétaire permet aux pays d’exploiter leurs avantages comparatifs de sorte que les économies deviendraient moins diversifiées et auraient en conséquence des cycles moins corrélés. En somme, le débat sur cette question n’est pas aujourd’hui tranché et les réponses sont par conséquent non univoques.
En définitive, la formation d’une UEM peut être abordée sous l’angle d’une analyse coûts-bénéfices. Alesina et Barro (2002) proposent un modèle fondé sur cette approche. Ils identifient deux bénéfices. L’un lié au commerce international (baisse des coûts de transaction) et l’autre au degré d’engagement (baisse de l’inflation). Le principal coût associé à l’UEM est l’abandon d’une politique monétaire indépendante. Ce coût peut être élevé lorsque les perturbations asymétriques sont nombreuses. En bref, les avantages macroéconomiques de l’UEM reposent sur des considérations de type stratégique ou d’économie politique, notamment sur le choix d’un régime de change. Dès lors, l’union monétaire apparaît comme l’un des moyens d’assurer la stabilité des prix, d’éliminer les risques de politique non coopérative ou de favoriser une saine gestion des finances publiques. Cependant, les avantages potentiels de l’union monétaire doivent être mis en balance avec les inconvénients résultant de la perte d’autonomie de la politique économique. En effet, il devient alors impossible de conserver une indépendance de la politique monétaire si l’on souhaite en même temps maintenir les taux de change fixes et l’absence d’entrave à tous mouvements de capitaux. La politique budgétaire est également contrainte dans la mesure où le financement monétaire est exclu et le recours à une monétisation de la dette également banni. Les coûts de cette perte d’autonomie dépendent de la distribution des perturbations affectant les économies en question. Aussi, le choix d’un régime de change est fonction de la nature et de la distribution des chocs susceptibles de mettre en cause la stabilité macroéconomique des pays membres de l’UEM. En réalité, l’essentiel est de savoir si les chocs sont symétriques ou asymétriques. Dans la première hypothèse, l’union monétaire ne présente que des avantages, car la fixité des taux de change joue comme un substitut à la coopération et exclut les comportements non coopératifs (Bismut et al., 1993).
En revanche, si les chocs sont asymétriques (par leur origine ou en raison des différences structurelles entre les pays), l’absence d’autonomie des politiques monétaires devient un inconvénient. Rappelons que c’est en raison de l’ampleur de cette asymétrie et de la divergence des réponses de politique monétaire que le Royaume-Uni a, en septembre 1992, effectué une sortie forcée du système monétaire européen (SME).
Par conséquent, l’analyse de ces chocs devient un exercice incontournable pour juger du bien-fondé ou non de la création d’une union économique et monétaire. Dans ces conditions, l’évaluation de la nature des chocs touchant les deux pays et de leur degré de persistance et de convergence est un préalable à la recherche d’une intégration économique et monétaire réussie. La section suivante analyse les principaux critères de convergence entre Haïti et la République dominicaine et leurs tendances évolutives. L’objectif consiste à utiliser les fluctuations observées pour juger de l’optimalité d’une union économique et monétaire entre ces deux économies.
2. Analyse descriptive des principaux critères de convergence entre Haïti et la République dominicaine et leurs tendances évolutives.
Le succès d’une intégration politique et économique dépend du degré de convergence des économies en jeu. À cet effet, il convient d’abord de définir les critères de convergence destinés à atteindre l’optimalité dans le cadre d’une UEM, puis de s’interroger sur le fait de savoir si à partir de ces critères, des espaces économiques nationaux ont intérêt à se rassembler et à ne former qu’une seule zone économique et monétaire ? L’objet de cette section est de présenter ces critères ainsi que leur évolution sur la période d’étude. Dans une récente étude (2010) consacrée à Haïti et à la République dominicaine, la Banque mondiale (Moreira, E.P) a utilisé des techniques statistiques de base pour évaluer et analyser dans une dynamique d’intégration les différents critères de convergence entre les deux pays. Ces critères ont été les suivants : la volatilité des taux de change entre les deux pays ; la similarité des taux d’inflation ; le degré de corrélation entre les chocs économiques ; le degré de flexibilité des prix et salaires ; le degré de mobilité de la main-d’œuvre. La simple représentation graphique de l’évolution de ces indicateurs laisse déjà apparaître des situations contrastées entre les deux pays. Ces évolutions extraites de cette étude sont illustrées ci-dessous.
2.1. Volatilité des taux de change bilatéraux
Il est à noter que la volatilité du taux de change est un critère qui peut être aussi nuisible au commerce intrarégional que les barrières tarifaires. Ne pas en tenir compte est susceptible d’entraver la capacité de réallocation des ressources des différents producteurs.
La figure suivante montre l’évolution du taux de change nominal entre Haïti et la République dominicaine entre janvier 1979 et septembre 2007. On constate que le taux de change entre les deux pays a été tout à fait volatile, spécialement durant les périodes de crise financière.
Figure 1. Évolution du taux de change bilatéral entre Haïti et la République dominicaine, 1979-2007 (peso dominicain contre gourde haïtienne)
Source : FMI
2.2. Similarité des taux d’inflation
La similarité des taux d’inflation est l’un des critères les plus utilisés pour évaluer la viabilité ou non d’une UEM. Si les taux d’inflation sont très divergents entre les pays, leur capacité à adopter une politique monétaire commune s’en trouverait entravée de manière significative.
La figure 2 retrace l’évolution du taux d’inflation annuel entre les deux pays à l’aide de leur indice des prix à la consommation, lui-même exprimé par rapport à celui des États-Unis. On constate une volatilité importante du taux d’inflation à différentes périodes de la chronique. Ce taux a divergé fortement entre les deux pays. Ce résultat s’explique sans doute par les effets des politiques d’ajustement réel différenciées menées dans ces deux pays pour juguler l’appréciation réelle du taux de change de leur monnaie.
Figure 2. Évolution du taux d’inflation entre Haïti et la République dominicaine par rapport aux États-Unis, 1964-2007
Source : World Bank
2.3. Degré de symétrie des chocs
La théorie des zones monétaires optimales postule que lorsqu’un pays adhère à une zone monétaire, l’adoption d’un taux de change national devient inutile pour amortir les chocs qui frapperaient son économie. Par conséquent, une tâche importante consiste à déterminer pour la zone monétaire le niveau optimal du taux de change, c’est-à-dire un taux cible qui fonctionnerait comme un « amortisseur de choc » pour la zone monétaire tout entière. En général, on considère que plus le degré d’asymétrie des chocs est élevé parmi les pays membres, plus grand sera le besoin d’absorption des chocs au plan national et plus élevé sera le coût de fixation du taux de change. Dans cette hypothèse, la politique monétaire commune ne serait pas une option appropriée et pourrait même être très coûteuse pour quelques pays. En revanche, si les partenaires potentiels à l’union ont un cycle d’affaires commun (c’est-à-dire s’ils tendent à être affectés de manière identique par les chocs), le coût de fixation du taux de change sera plus faible dans le cadre de l’union, et la politique monétaire plus crédible. Par ailleurs, une des raisons pour laquelle des pays font face à des chocs asymétriques réside dans le fait qu’ils ont des structures de production et d’exportation différentes. Aussi, pour examiner le degré de symétrie des chocs entre Haïti et la République dominicaine, on analysera successivement les corrélations des écarts de production, l’importance du commerce bilatéral ainsi que les termes de l’échange.
La figure 3 suivante présente sur la période 1963-2007, l’évolution des écarts de production dans les deux pays. Rappelons que l’écart de production est la différence entre la production observée et la production potentielle. Il permet d’évaluer les pressions qui s’exercent sur l’appareil de production. Lorsqu’il est positif, il induit des pressions inflationnistes et l’inverse lorsqu’il est négatif. Il est mesuré ici par le logarithme du rapport du PIB réel à sa valeur tendancielle, valeur tendancielle déterminée ici par le filtre modifié de Baxter-King. La figure 3 ne montre pas une grande corrélation dans les écarts de production. Le coefficient de corrélation n’est que de 0.03. En réalité, la corrélation dans les gaps de production des deux pays est plus élevée, reflétant de ce fait une plus grande synchronisation des cycles.
Figure 3. Évolution du taux d’inflation entre Haïti et la République dominicaine par rapport aux États-Unis, 1963-2007
Source : World Bank
Par ailleurs, selon les statistiques du commerce international du FMI, le commerce bilatéral entre les deux pays reste faible. Ce faible niveau du commerce bilatéral s’explique par le fait que les frontières entre les deux pays sont hautement perméables et que le commerce informel est particulièrement élevé. Selon certaines sources, le commerce informel entre les deux pays est d’une importance quasi équivalant au commerce enregistré officiellement. Il n’en demeure pas moins que le commerce entre les deux pays représente une faible part du total de leur commerce, et ce, en raison de la non-complémentarité des structures de production et d’exportation de ces économies. Par exemple les exportations de la République dominicaine, qui sont constituées pour l’essentiel de produits de base et de tourisme sont destinées principalement à des pays industrialisés, tandis que ses importations, composées pour la plupart de biens de consommation et d’équipement ainsi que de matières premières proviennent en majorité de ces mêmes pays industrialisés. Le niveau relativement faible des réseaux de transport et de communication entre Haïti et la République dominicaine explique également ce faible niveau de commerce bilatéral.
La figure 4 retrace sur les quatre dernières décennies, l’évolution des termes de l’échange des deux pays. On n’observe pas une corrélation élevée sur ce paramètre en raison de différences importantes dans la composition des exportations des deux pays plutôt que dans celle de leurs importations.
Figure 4. L’évolution des termes de l’échange entre Haïti et la République dominicaine
Source Banque mondiale
2.4. Degré de flexibilité des prix et salaires
Pour faire face aux chocs économiques, on procède généralement par un ajustement du taux de change réel. Dans le cadre d’une union monétaire, le taux de change nominal ne peut constituer un recours. L’ajustement du taux de change réel peut s’effectuer par le biais des mouvements de prix et de salaires. Si les salaires sont parfaitement flexibles, une réduction des salaires nominaux est comparable en termes d’ajustement à une dépréciation nominale du taux de change. En revanche, lorsque les salaires sont rigides, l’ajustement par les réductions salariales est beaucoup plus lent et plus coûteux. La flexibilité des prix peut provoquer également un ajustement du taux de change réel. Cependant, le degré de flexibilité des prix est souvent limité en pratique. En général, il est souvent difficile de juger si un pays a un degré suffisant de flexibilité des prix et salaires pour faciliter un ajustement aux chocs. Il n’existe que très peu d’études abordant ce problème dans les cas de Haïti et de la République dominicaine. Dans le cas de la République dominicaine par exemple, les résultats issus d’une estimation effectuée par Hernandez (2008) indiquent qu’il existe un degré significatif de flexibilité dans l’établissement des prix dans ce pays. Cependant, dans le même temps existe dans les deux pays, un secteur informel assez important. En effet, selon les estimations de Gasparini et de Tornarolli, l’emploi informel représentait, en 2004, 51,3 % de l’emploi total à la République dominicaine, et 82,1 % en Haïti en 2001. Cela suggère un haut degré de flexibilité du salaire nominal, en particulier pour la main-d’œuvre non qualifiée.
2.5. Degré de mobilité de la main-d’œuvre
Lorsque la mobilité de la main-d’œuvre s’effectue par les frontières, les chocs asymétriques d’un pays frontalier sont en principe absorbés par la migration, et ce, sans pour cela avoir recours aux variations des prix relatifs. La mobilité de la main-d’œuvre peut être particulièrement importante en présence d’une rigidité des salaires. Dans les cas de la République dominicaine et de Haïti, il a toujours existé un degré significatif de mobilité de la main-d’œuvre aux frontières-mobilité en grande partie illégale — . De plus, cette mobilité prend la forme le plus souvent de flux de main-d’œuvre non qualifiée. Notons que le marché du travail dans ces pays se heurte à un certain nombre d’imperfections et de distorsions, observées notamment dans la législation du travail, par le coût de ce dernier, sa faible productivité, sans oublier l’exode important des cerveaux. Notons que ce « brain drain » a aidé à renforcer les liens économiques entre ces deux pays et les États-Unis. Enfin, la langue est demeurée jusqu’à ce jour une barrière persistante entre les deux pays.
2.6. La politique budgétaire et fiscale
Comme indiqué précédemment, les pays adhérant à une union monétaire doivent renoncer à l’utilisation de l’arme monétaire et du taux de change comme outils de stabilisation macroéconomique. En revanche, lorsqu’un pays est sujet à un choc asymétrique, des stabilisateurs fiscaux automatiques existent et peuvent constituer des recours. La figure 5 affiche les tendances évolutives du solde budgétaire (en % du PIB) de Haïti et de la République dominicaine sur la période 1963-2007. Les données montrent qu’aucun de ces pays n’a dégagé d’excédent sur cette période, et qu’au contraire, ils ont accusé des déficits importants qui ont contribué à l’accroissement de leurs dettes. Dans ces conditions, il est difficile d’envisager une union monétaire entre des pays qui affichent de tels déficits. Rappelons que des limites sont généralement imposées aux pays en termes de dette et de déficit. Par exemple, les critères de Maastricht requièrent pour les pays de l’Union européenne un déficit budgétaire ne dépassant pas 3 % de leur PIB et un ratio de la dette publique qui doit être inférieur à 60 % de leur PIB.
Figure 5. Les tendances évolutives du solde budgétaire (en % du PIB) d’Haïti et de la République dominicaine
Source : Fonds Monétaire International (FMI)
3. Méthodologie
Trois grandes méthodes sont régulièrement utilisées pour mesurer les chocs macroéconomiques : il s’agit de l’analyse de la volatilité des taux de change réels ; l’analyse des cycles à l’aide du filtre HP ; et les processus vectoriels autorégressifs structurels. Nous optons dans le cadre de cet article sur le filtre de Kalman afin d’analyser l’évolution de l’(a)symétrie des chocs entre les deux pays. Le choix du filtre de Kalman, qui est un ensemble d’équations mathématiques permet une meilleure estimation de l’état futur que celle des autres méthodes. Aussi, notre approche consiste à utiliser les fluctuations observées dans les deux pays choisis comme ancre pour juger de l’optimalité d’une UEM entre eux.
À cette fin, le logiciel STAMP (Structural Time Series Analyser, Modeller And Predictor), spécialement construit pour estimer les modèles à composantes inobservables (Doornik, Harvey, Koopman et Shephard, 2000) a été utilisé pour réaliser les estimations. Notre modèle distingue variables observées (le signal) et variables cachées (l’état interne). En postulant que le cycle et la tendance possèdent chacun une dynamique propre, ce modèle se trouve diamétralement opposé à celui préconisé par exemple par Beveridge et Nelson qui suppose une parfaite corrélation entre le cycle et la tendance. Par conséquent, nous cherchons dans notre modèle à décomposer les chocs affectant les deux partenaires potentiels à l’UEM en deux composantes inobservables : une composante commune aux deux pays et une composante spécifique à chaque pays.
En notant :
- les deux pays i = H, RD respectivement pour Haïti et la République dominicaine ;
- les chocs réels ou nominaux εi_j, t, j, et la date « t ». avec j = ipc, m2, pmp, cip, tc.
- les composantes communes {nc_j, t}
- les composantes spécifiques {ni_j, t}
- la part des composantes communes dans les chocs εi_j, t : αi_j et des composantes spécifiques (1-αi_j).
Le modèle espace-état comprend deux spécifications :
(i) la première spécification est l’équation de mesure ou d’observation. Elle décrit une relation linéaire entre un vecteur de variables observées et un vecteur de variables décrivant l’état de la nature du système. Elle est de la forme :
Xi = Ziαi + di + εt, avec E (εt)= 0 et Var (εi)= Hi (1)
Où Xi (n x 1) est le vecteur des observations, αi (p x 1) le vecteur d’état des variables inobservables, di le vecteur des variables prédéterminées et Zi (n x p) la matrice des observations. On suppose que l’erreur des observations suit une distribution d’espérance conditionnelle nulle et de matrice de variance covariance Hi.
(ii) la seconde spécification est l’équation d’état ou de transition. L’équation de transition décrit la loi d’évolution des composantes inobservables. Elle prend la forme suivante :
αi = Tiαt_i + ci + Rini avec E (ni)= 0 et Var (ni)= Qi (2)
ci contient les effets exogènes, Ti (p x p) est la matrice de transition et Ri (g x p) la matrice des innovations de l’équation de transition.
Les équations (1) et (2) constituent un modèle à espace-état que l’on peut estimer par le filtre de Kalman.
Les données utilisées dans notre modèle sont annuelles et portent sur la période 1990-2013. Elles sont issues de la base de données WDI (world development indicators, 2014) de la Banque mondiale et de la base de données IFS (international financial statistics, 2014) du Fonds monétaire international. Les variables sont exprimées en logarithme.
Enfin, l’estimation doit être « calée » sur la série représentative des chocs de l’un des deux pays qui sera prise comme choc de référence. Nous choisissons la République domicaine comme « pays de référence ». L’algorithme itératif que constitue le filtre de Kalman permettra de déterminer s’il existe une combinaison linéaire de chocs communs et spécifiques permettant de décomposer nos chocs et estimer la part de la composante commune dans chaque chronique nationale.
3.1. Typologie des chocs
Il convient de distinguer chocs symétriques et chocs asymétriques : on appelle choc symétrique, un évènement exogène ayant un impact similaire sur la demande agrégée et/ou l’offre agrégée des différents pays d’une zone. Par exemple, les variations du prix du pétrole constituent des chocs d’offre symétriques pour les pays en question tandis que les fluctuations de l’activité aux États-Unis constituent des chocs de demande presque symétriques.
On appelle choc asymétrique ou choc spécifique, un évènement ayant un impact macroéconomique seulement dans un pays, ou avec une intensité différente selon les pays. Une variation de la demande dans un secteur de spécialisation, un évènement politique ou social peuvent constituer des chocs asymétriques.
Cette étude distingue :
- un choc réel extérieur avec les variations du prix mondial du baril de pétrole (pmp) en tant que choc mondial ;
- des chocs nominaux domestiques avec l’indice des prix à la consommation (ipc) ; l’agrégat monétaire m2 (en % du PIB) ; les crédits intérieurs fournis au secteur privé cip (en % du PIB), et le taux de change nominal tc par rapport au dollar américain. Enfin, deux variables indicatrices sont ajoutées au modèle, l’une qui tient compte de l’impact du tremblement de terre qui a frappé Haïti en 2010, variable qui prend la valeur de 1 en 2010, et 0 ailleurs. L’autre variable indicatrice est celle qui tient compte de la crise financière qui a affecté la République dominicaine en 2003. Cette variable prend la valeur de 1 en 2003 et 0 ailleurs.
3.2. Résultats
Les estimations sont effectuées à l’aide de quatre équations (q1, q2, q3, et q4) exprimant les réponses de chacune des quatre variables au choc extérieur (variations du prix du pétrole). Ces estimations sont détaillées dans les annexes 1 et 2. Les résultats sont exposés à travers (1) l’analyse des cycles (amplitude, variance, corrélation, fréquence) et leur évolution à l’aide de représentations graphiques ; (2) une analyse de la convergence se basant sur la moyenne des paramètres de « cyclicité Cy1 et Cy2’, qui établit une distinction entre convergences forte/faible, mesurée par un seuil arbitraire, égal ici à 0.05. (3) l’estimation des variables explicatives. Présentés ci-dessous, les résultats permettent de juger du degré d’intégration des deux économies. Ils ne révèlent pas de composantes communes aux deux pays pour aucun des chocs analysés.
3.2.1. Choc extérieur
Le prix du baril de pétrole est utilisé ici comme variable de choc extérieur. Les réponses des variables domestiques à un choc sur le prix du baril de pétrole sont fournies ci-dessous. Nous abordons d’abord l’analyse des cycles puis la trajectoire des chocs sur : le taux d’inflation (icp), l’agrégat monétaire (m2, en % du PIB), les crédits intérieurs fournis au secteur privé (cip, en % du PIB) et le taux de change nominal (tc, par rapport au dollar américain). Le choc sur le prix mondial du pétrole (pmp) permet de tester la validité de notre modèle.
Voir plus https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/7188