L’insécurité en Haïti nous arrache des larmes au quotidien. Nos cœurs meurtris n’en peuvent plus, nous ressentons ce sentiment permanent de peur et d’angoisse qui nous étouffe. Circuler librement, vaquer à ses occupations, dormir, prendre de l’air sur une place publique ou même se distraire sainement deviennent des exercices suicidaires. Comme d'aucuns pourraient en convenir, cette insécurité ne date pas d'hier.
Au cours de ces cinq dernières années, force est de constater que la situation s’est empirée. Ce qui déroute ou qui exaspère encore plus, c’est l’impuissance mélangée à l’insouciance de nos dirigeants face à ce problème. On est arrivé à un stade ou le voile de l’anonymat ne recouvre plus cette délinquance. Les bandits font la une des journaux, donnent des interviews, exposent leurs armes au grand jour.
On se pose alors certaines questions: " Comment sommes-nous tombés si bas ? Cette insécurité est-elle de nature politique? Si oui, qui sont les commanditaires de cette machine infernale ? Depuis quand sommes-nous obligés de vivre cette sordide situation?" Pour répondre à ces différentes questions, un plongeon d’antan me semble nécessaire.
Après le départ de Duvalier fils en 1986, les Haïtiens s’attendaient à une amélioration des conditions de vie. Tel ne fut pas le cas malheureusement. Le pays avait connu toute une série de péripéties fâcheuses dans l’unique espoir de se doter d’un gouvernement stable et légitime. Les élections de décembre 1990 qui ont favorisé l’arrivée au pouvoir de Jean Bertrand Aristide inspiraient à la majorité de la population un sentiment de changement, de paix. On pensait enfin obtenir un moment de répit. Mais hélas !
Une tuerie allait s’abattre sur le pays avant même la prestation de serment du président élu puisque le Docteur Roger Lafontant tenta de s’emparer du pouvoir dans la nuit du 6 au 7 janvier 1991. Le coup d’État ayant échoué, des partisans du président Titid profitèrent du momentum pour lyncher ou brûler, sous les regards indulgents des militaires de la FAD’H, les misérables disciples de Lafontant.
À partir de ce carnage, la scission du pays en deux camps distincts était renforcée. Ce fut alors l’apparition du fameux slogan : « Makout pa ladan l ». De ce clivage, bien des fils de cette nation fracturée allaient perdre la vie. Ainsi, on peut affirmer qu’il n’a jamais été possible d’instaurer en Haïti un climat serein depuis 1986.
En 1994, notre pays allait, une fois de plus, essuyer l’affront de l’occupation. Cependant, les Haïtiens s’attendaient à bénéficier des retombées positives de cet incident qui avait fouetté à la fois notre fierté et notre souveraineté. A priori, ce point-là ne faisait pas partie des plans de l’oncle Sam puisqu’après cette intervention militaire étrangère, la sécurité et la paix sociale promises n’étaient point au rendez-vous. Pire encore notre seule armée a été démantelée.
Aujourd’hui, nous constatons avec amertume qu’après toutes les missions des Nations unies effectuées en Haïti, ( Minustah, Minujusth, etc.) les milliards de dollars investis sous la rubrique de l’assistance, la réalité de tous les jours confirme encore que la qualité de la vie était bien meilleure avant 1986. On vit maintenant comme dans une bulle ensanglantée ou les gangs armées imposent leur loi. Chacun porte son cercueil sous ses bras et l’inquiétude transpire dans le regard de chaque Haïtien.
De 1995 à 2000, plus de 1600 personnes ont été tuées en Haïti et ce carnage a frappé de plein fouet la communauté des Frères de l’instruction Chrétienne, car le Frère Hurbon Bernadin fut assassiné à la Vallée de Jacmel le 30 novembre 1999. Il est rapporté que les Frères ont quitté l'Ecole des Frères Louis Borno de Léogâne, à cause d'un climat d'insécurité où ils se voyaient attaquer en plein jour.
Plus près de nous vers 2014, alors que les rues etaient relativement calmes, l'insécurité semblait alors se diriger vers la communauté religieuse du pays. En effet, en province comme à Port-au-Prince, des individus pénétraient les couvents et autres établissements religieux où ils pillaient et violaient les religieuses.
De janvier à septembre pas moins de 46 policiers ont été assassinés dans un pays où déjà le nombre d'agents de la police se révélait cruellement insuffisant pour la population, sans compter les attaques répétées des groupes armés contre les postes de police dont certains sont tombés sous le contrôle des malfrats.
Et selon le CARDH, une organisation à but non lucratif dont la mission est de contribuer à la promotion des valeurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme pour l'avènement de l'état de droit, on a dénombré 119 kidnappings pour la 1ère moitié du mois d’octobre dont le kidnapping collectif des 17 ressortissants étrangers (16 américains et 1 canadien) par le gang 400 mawozo semant la terreur à Croix-des-Bouquets et Ganthier.
Manifestement, l'insécurité a accusé des proportions phénomales et ces derniers temps, elle s'infiltre un peu partout. Depuis la grande aire métropolitaine où elle est qualifiée de généralisée, elle commence à attaquer également les provinces et les axes routiers particulièrement dangereux où les voyages s'avèrent suicidaires. Malgré grèves et manifestations récurrentes, l'État quasi inexistant peine à apporter des réponses viables préférant se borner aux solutions cosmétiques.
On pourrait se demander s'il existe une réelle volonté chez nos autorités et les pays qui se disent amis d'Haïti -on ne peut les exclure- pour endiguer ce phénomène qui s'est métastasé dans tout le corps social. Il y a également lieu de se demander quel avenir, quel plan de secours pour tirer ce pays du gouffre dans lequel il s'est profondément enfoncé au fil des ans. Conscience nationale ? Révolution ? Nouveau contrat social ?
En résumé, la question de l’insécurité est un triste parcours que les Haïtiens refont quasiment tous les jours à travers les années. C’est un poison violent auquel est exposée la nation toute entière, et la vie elle-même n’est plus possible en Haïti. Jusqu’à quand les différents secteurs affligés par ce climat d’insécurité remporteront-ils la victoire finale face à cette violence aveugle et gratuite ? L’espoir renaîtra-t-il ici-bas ?
Pour études complémentaires, l’APS vous recommande: "Haïti, le livre noir de l’insécurité, Prosper Avril", "Le procès de l’insécurité, James Boyard".
Elie Garel Blaby,
Coordonnateur général de l'APS.