Haïti, depuis son indépendance, est frappé par une série de tragédies sur fond de tensions raciales, économiques, de violences et de crises politiques. Étant composé de noirs et de mulâtres, le pays est confronté à une lutte historique qui oppose ces deux groupes. C’est ainsi qu’on a pu trouver l’idéologie mulâtriste qui se présente comme la classe dominante, possédant 90 % des richesses du pays et l’idéologie noiriste qui a pris naissance avec l’objectif de redresser le problème des inégalités sociales dans le pays. Cependant, poussés par l’ambition de s’enrichir au détriment du peuple, les élites noiristes, au lieu de se mettre du côté de la classe défavorisée, soulèvent de préférence les uns contre les autres. Voilà pourquoi, on trouve dans le pays différents groupes de gangs armés. Selon Agence haïtienne de Presse (novembre 2019) on dénombre plus de 96 groupes armés et 500 000 armes et plus seraient en circulation sur le territoire national. Parmi ces groupes armés, on peut citer le groupe G9, le syndicat SPNH17, le groupe fantôme 509, etc. On se pose la question : pourquoi tous ces gangs armés et toutes ces armes en circulation ? Pour répondre à ces questions, nous avons titré l’article : La violence des Haïtiens noirs à l’égard d’autres Haïtiens noirs.
Certaines personnes pensent qu’Haïti est un pays composé uniquement de personnes de couleur noire. C’est une grande erreur ! Il y a en Haïti des noirs et des mulâtres ou des métis. Alors, un mulâtre est une personne dont l’un des parents est issu de la race blanche et l'autre de la race noire et dont la peau présente une coloration. D’où le nom : Haïtiens mulâtres. Il faut dire que ces personnes constituent la classe socio-économique très minoritaire du pays, mais très favorisée. Les Haïtiens noirs sont des descendants des esclaves noirs issus de la côte ouest-africaine comme : Nigeria, Bénin, Guinée et Togo, etc. Ce groupe constitue le groupe majoritaire qui est divisé en classe moyenne et en classe défavorisée. Il y a un proverbe haïtien qui dit : depuis la Guinée, les nègres ne voulaient pas voir les nègres. Ce sont les nègres qui ont vendu leurs propres frères pour être esclaves. Aujourd’hui encore, au 21e siècle, ce proverbe a toute sa valeur, toute son importance. Certains Haïtiens noirs sont prêts à vendre leurs propres frères pour de l’argent comme on vendait les esclaves à leur arrivée au marché de la Croix-des-Bossales. La violence des Haïtiens noirs à l’égard des Haïtiens noirs, je veux, par cette réflexion, toucher les cœurs de tous ceux et de toutes celles qui vont la lire afin qu’une prise de conscience soit réalisée au sein de la nation haïtienne. Ainsi, dans les lignes suivantes, je vais parler de la nature de la violence exercée par certains Haïtiens noirs sur leurs frères en mettant accent sur ces deux termes : les gangs armés et le phénomène du kidnapping.
Les gangs armés du pays.
Les gangs armés viennent de la classe défavorisée. Ils sont tous des Haïtiens noirs utilisés par des Haïtiens noirs de la classe moyenne en vue de faire leur capitale politique et financière. Dans la capitale comme dans les villes de province, on rencontre des groupes armés et le plus souvent ce sont ces groupes qui font la loi dans leur communauté. Selon la Commission nationale de désarmement, démantèlement et de réinsertion (CNDDR, 2-11-2019), ces groupes armés sont au nombre de soixante-seize (76). Le feu président Jovenel Moïse, dans une déclaration faite à L’ONU le lundi 22 février 2021, a fait mention de 102 groupes de gangs armés dont 64 sont démantelés. Selon le nouvelliste (2-11-2019), un membre du gouvernement démissionnaire a déclaré que trois, parmi les soixante-seize gangs dénombrés par CNDDR, sont au service du pouvoir et le reste est contrôlé par un ancien député et des sénateurs de l’opposition.
De plus, Jean Rebel Dorcenat, membre de la commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) a déclaré sur Télé 20 que certains membres du secteur privé, des membres du gouvernement et certains leaders politiques ont une bonne collaboration avec les gangs armés. Ils leur fournissent des armes et des munitions, avait-il déclaré. Ce qui revient à dire que ces gangs sont armés par des hommes qui devraient protéger le peuple. Ces groupes armés sont utilisés par ces hommes à costume pour créer des troubles sociopolitiques dans le pays durant ces dernières années. Ces groupes opèrent le jour comme la nuit en toute quiétude et en toute impunité dans les rues de la capitale comme dans les villes de province. Dans les communautés de Bicentenaire, Martissant, Route 9, Grand-Ravine, Pérard (Bas Artibonite), Savien (Bas Artibonite), Petite-Rivière de l’Artibonite, Delmas 2, pour ne citer que celles- là, les bandits armés représentent l’état. Ils agissent aux yeux de tous, comme bon leur semble.
Le phénomène du kidnapping.
Quelle que soit la société, elle est appelée à connaître une évolution ou une transformation. Le plus souvent ces évolutions ou transformations se font dans un sens positif en vue de la croissance politique, éducationnelle et économique de cette société. De 1986 à nos jours, le pays d’Haïti a connu beaucoup de transformations. Il était connu sous le nom de Perle des Antilles, aujourd’hui, il est devenu la risée des Antilles et des autres pays. Avant 1986, il était la destination préférée des touristes, aujourd’hui, il est sur la liste des pays à éviter. Avant 1986 le bicentenaire, la place d’Italie, le Champ-de-Mars, etc., étaient bondés de touristes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ceci chaque jour. Aujourd’hui, ces places sont infréquentables et sont déclarées des zones de non-droit, car elles sont contrôlées par des gangs armés. Parmi ces transformations négatives qui se font dans le pays de 1986 à nos jours, il y a l’une qui nous interpelle beaucoup : c’est le phénomène du Kidnapping.
Certains soutenaient que le kidnapping aurait pour cause la pauvreté à laquelle la couche la plus défavorisée fait face depuis bien des années. Les gens qui soutiennent cette idée voudraient faire comprendre que les kidnappeurs qui demandent de fortes sommes d’argent en vue de libérer les kidnappés seraient les défavorisés des ghettos, des bidonvilles. Cependant, pour kidnapper les gens, les kidnappeurs utilisent des armes, le plus souvent des armes sophistiquées que même les corps policiers qui sont chargés de sécuriser la population n’en possèdent pas. Aussi, ils ont des voitures à leur disposition. Alors, on se demande, comment des gens défavorisés qui n’ont aucune profession peuvent-ils acheter des armes et des voitures ? La réponse est aussi simple. Ils sont financés et appuyés par certains hommes de la bourgeoisie, du gouvernement et de la classe politique. Ils ne sont qu’au service de leurs bosses en quête d’argent. Pose-toi la question : pourquoi les autorités établies ne mettent-elles pas fin à ce phénomène qui tient la population en otage ? La réponse est simple : le kidnapping rapporte et aux kidnappeurs et à leurs patrons. L’autre question que l’on peut se poser est celle-ci: dans quelle classe sociale se trouve la majorité des personnes kidnappées?
Regardons un peu le profil des gens kidnappés. Ils sont le plus souvent des médecins, des ingénieurs, des avocats, des directeurs d’école, des élèves, des commerçants, des travailleurs, des religieux et religieuses, des employés de la banque, des membres de la diaspora, etc. Les statistiques donnent que 90% des personnes kidnappées viennent de la classe moyenne et de la classe pauvre. Il est rare de voir qu’un mulâtre est kidnappé ou un proche parent des hommes politiques du pays. C’est pourquoi je parle de la violence des Haïtiens noirs à l’égard des Haïtiens noirs. Les pires ennemis des Haïtiens noirs sont les Haïtiens noirs, leurs propres frères. Ce ne sont pas les pays comme le Canada, les États-Unis ou la France. On est tous conscients que la communauté internationale, à travers les institutions telles : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque interaméricaine de développement (BID), l’Agence américaine pour le développement international (USAID), etc., joue aussi un rôle majeur dans la situation que traverse le pays, mais elle n’est pas la pire ennemie des Haïtiens noirs. Elle utilise nos frères noirs, qui sont manipulables et achetables pour plonger le pays dans cet état lamentable où il se trouve aujourd’hui. De plus, les pires ennemis des Haïtiens noirs ce ne sont pas les Haïtiens mulâtres. Ces derniers profitent aussi du sentiment corrompu de certains Haïtiens noirs pour les encourager à exercer de la violence sur leurs frères noirs en les kidnappant, les tuant et négociant leur prix comme on négocie le prix des animaux au marché.
Par ailleurs, ce qui est triste, lamentable et frustrant dans le phénomène du kidnapping c’est que les personnes kidnappées, une fois que la rançon est donnée, sont parfois tuées, jetées sur des tas d’immondices et d’autres, violées par tous les membres du gang. Ces hommes sans scrupules ne tiennent pas compte des valeurs humaines qui sont notamment le respect, la considération, l'appréciation, l'entraide, la solidarité, l'écoute, la bienveillance, l'empathie, la fraternité et l'amour envers d'autres êtres humains.
Force est de constater que les cas de kidnapping et d’assassinat ont connu une hausse fulgurante depuis le début de cette année. Chaque jour des personnes sont kidnappées et d’autres sont tuées. Cependant, il y a un silence de mort chez les membres du gouvernement et de l’opposition. Ce silence montrerait qu’il y a une course entre ces deux groupes pour voir lequel qui va kidnapper plus de personnes. Voilà pourquoi le kidnapping se fait en plein jour et aux yeux de tous. De plus, les kidnappeurs utilisent parfois des voitures avec des plaques d’immatriculation officielles pour kidnapper les gens.
Les Haïtiens à l’intérieur du pays comme ceux de la diaspora sont fatigués avec ce phénomène et s’étonnent aussi du silence du gouvernement, des membres de l’opposition, des membres du secteur privé et religieux. Car, les kidnappeurs ainsi que leurs patrons sont connus, mais rien ne fait pour qu’ils soient arrêtés et jugés. Je suis désolé. Ils ne peuvent pas être arrêtés et ni jugés puisque leurs patrons se trouvent soit dans le gouvernement ou dans le parlement ou dans la classe minoritaire ou parmi les hommes politiques. Posons-nous alors la question : quels sont les impacts de ce phénomène sur la société haïtienne ? Il faut dire que ce phénomène a beaucoup d’impacts majeurs sur le pays sur le plan politique, économique, social, etc. Parmi ces impacts nous allons considérer l’un d’entre eux.
● Impact du kidnapping sur la création d’emplois.
Le phénomène du Kidnapping crée une situation de peur et de panique dans le pays et il met en doute la bonne volonté des dirigeants politiques d’en trouver une solution. En effet, ce phénomène a un impact négatif sur l’économie nationale. Il empêche les investisseurs et entrepreneurs haïtiens et étrangers de venir investir afin de créer du travail dans un pays où le taux de chômage est très élevé (60% à 70%). Selon Paul Augustin Sincère (28 décembre 2009), parmi les investisseurs et entrepreneurs qui créent de l’emploi et prennent le risque d’ouvrir leurs entreprises, certains sont soupçonnés de complicité avec les kidnappeurs ou détenteurs d’une carte d’identification spéciale de fonctionnement ou bien ils sont les patrons des kidnappeurs. Ainsi, ces derniers sont à leur service en vue d’empêcher d’autres investisseurs de venir s’installer dans le pays. On peut citer l’exemple du PDG de Haïtel, membre de la diaspora qui avait fondé la première compagnie de téléphone mobile en Haïti. Aujourd’hui, cette compagnie n’est plus.
De plus, le phénomène du kidnapping empêche le développement touristique dans le pays. Il faut dire qu’avant 1986, le tourisme représente l’une des principales sources de revenus du pays. Aujourd’hui, aucun touriste ne prendrait le risque de venir dans le pays. Non seulement le kidnapping sert de blocage aux touristes étrangers, mais aussi empêche les membres de la diaspora haïtienne, les hommes riches du pays, les hommes d’affaires, les étudiants, etc., de partir dans les différentes villes du pays en vue de profiter de nos monuments historiques. La peur, la panique, le stress, et la frustration paralysent le bon fonctionnement du pays. Les Haïtiens noirs sont en train de vivoter et ils ne savent pas encore quand ils vont voir le bout du tunnel.
L’arrivée du phénomène du kidnapping et sa croissance fulgurante engendrent chez les Haïtiens plus particulièrement les noirs qui en sont les principales victimes, un sentiment de frustration, de stress et d’aversion. Ce phénomène vient nourrir chez la majorité des Haïtiens noirs l’envie de fuir le pays. C’est pourquoi, durant ces dernières années, ceux qui ont la possibilité et d’autres, aidés par des amis ou de proches parents qui sont aux États-Unis ou Canada, achètent un visa pour se rendre soit au Mexique, Chili, Brésil, Curaçao, Panama, République dominicaine, Nassau Bahamas, etc.
En bref, la violence des Haïtiens noirs à l’égard des Haïtiens noirs est un problème majeur qui ronge le pays. Cependant, la solution à ce problème n’est pas le changement d’un président ou d’un premier ministre ou les membres d’un gouvernement. La solution ne viendra pas non plus par l’organisation d’une conférence nationale, mais elle viendra par le changement en profondeur de notre système. Par changer le système, je veux dire avoir une démocratie fondée sur la justice sociale. Toupictionnaire, le dictionnaire de politique définit la justice sociale en ces termes : "la justice sociale est un principe politique et moral qui a pour objectif une égalité des droits et une solidarité collective qui permettent une distribution juste et équitable des richesses qu'elles soient matérielles ou symboliques entre les différents membres de la société."
En matière de justice sociale, le système de distribution ou de redistribution des richesses évolue selon deux principes :
● Le principe d'égalité des droits qui garantit le même traitement pour tous.
● Le principe d'équité des situations qui cherche à tenir compte de la situation personnelle des individus (Toupictionnaire, le dictionnaire de politique).
Dans cette perspective, l’État a pour obligations de:
1. Limiter les privilèges des grands employés, comme les parlementaires, le chef de l’État, les dépenses de la présidence, le Premier Ministre et tous les autres membres du gouvernement.
2. Éliminer les chèques zombis destinés à gonfler les poches de certaines personnes corrompues et égoïstes.
3. Chercher à réduire le déficit budgétaire, en taxant les personnes les plus riches et celles avec des salaires élevés.
4. Créer un budget générateur d’emplois. Un budget qui doit générer des programmes sociaux, en permettant aux gens les plus pauvres d’avoir accès à des services publics de bonne qualité.
5. Diminuer complètement le budget consacré à l’achat d’armes, de munitions et aux gaz lacrymogènes pour mater les manifestations pacifiques.
6. Juger ceux et celles qui ont dilapidé les richesses du pays.
7. Arrêter et juger les kidnappeurs à costumes et ceux qui ont travaillé pour ces derniers.
8. Créer un climat favorable pour attirer des investisseurs et entrepreneurs haïtiens et étrangers, etc.
Les Haïtiens ont donc besoin d’un pays où il fait beau de vivre dans la dignité, le respect et la confiance. Un pays où ils peuvent investir leur connaissance, leur compétence, leur savoir-faire et leurs richesses.
Renel CLESS,
Pasteur et EAO/OCT B.TH, B.ÉD, M.ÉD
Consultant à PROFILE AYITI.
Lundi 27 Septembre 2021
Bibliographie:
1) http://www.toupie.org/Dictionnaire/Justice_sociale.htm
2) https://www.alterpresse.org/spip.php?article24457#.YEA_dWhKhPY
3) http://cadreeducation.over-blog.com/article-le-kidnapping-en-haiti-un- phenomene-social-complexe-41936345.html
4) https://lenouvelliste.com/article/208474/qui-controle-les-76-gangs-armes- repertories-par-la-cnddr-sur-le-territoire
5) https://www.haitilibre.com/article-32345-haiti-flash-le-groupe-fantome-509- seme-la-terreur-dans-la-capitale.html