La question de la classe moyenne en Haïti est devenue un débat public en pleine période électorale dans lequel peu d'intellectuels s'engagent. Voilà pourquoi les opinions des leaders politiques, notamment ceux-là qui sont candidats aux prochaines présidentielles, sont plus répandues dans les médias. Ce qui n'est pas du tout une mauvaise chose.
Cependant, je pense, personnellement, que la création des fonds par-ci par-là ne va pas nécessairement renforcer la classe moyenne haïtienne, comme veulent faire croire les candidats à la présidence aujourd'hui. Parce que le problème n'est pas lié uniquement à une question de fonds non disponibles. C'est une question à la fois historique, structurelle, culturelle et surtout politique dans ce pays.
Classiquement, la classe sociale dite « moyenne » est l'ensemble de communautés hétérogènes, situées entre les classes pauvres et les riches sur la base du revenu. Point.
Je pense que la définition qu'on attribue à la classe moyenne haïtienne est plutôt politique, historique et culturelle. Le pacte non écrit de 1946 est très claire: les classes moyennes doivent faire de la politique pour survivre, la bourgeoisie le commerce pour rester dominants...
Les critères de définition de la classe moyenne haïtienne sont l'école fréquentée, les amis fréquentés, le smartphone, etc. Mais où est la place du Revenu dans tout ça? Selon moi, c'est le niveau de vie, l'appartenance ressentie à une catégorie sur la base du revenu qui devraient définir la classe sociale d'un individu.
Comment avoir une classe moyenne haïtienne avec un revenu ne lui permettant pas au moins de survivre? Comment dire d'un jeune universitaire haïtien sans revenu un élément de la classe moyenne juste parce qu'il va à l'université tandis qu'il habite dans un bidonville misérable?
Selon moi, certains éléments de la classe moyenne haïtienne sont en réalité des éléments de la masse, de la basse classe. Je suis désolé. Ce ne sont pas les études qui définissent les classes sociales mais le revenu. Je répète, le revenu. Un bourgeois qui n'aura pas fréquenté l'école restera un bourgeois. Un pauvre avec une licence qui ne peut pas répondre à ses besoins de base tels le logement, le manger et le boire, reste un pauvre.
Selon l'Observatoire des inégalités, en 2011, les classes moyennes correspondent aux salariés gagnant entre 1 163 et 2 127 euros par mois pour une personne seule, entre 2 174 et 4 068 euros par mois pour un couple sans enfant et entre 3 057 et 5 174 euros par mois pour un couple avec deux enfants. En prenant les 40 % de salariés du milieu (au-dessus des 30 % les moins payés et en dessous des 30 % les mieux payés), on obtient des salaires nets compris entre 1 200 et 1 840 euros pour des temps complets. « C'est à ce niveau que se situent les classes moyennes », estime l'Observatoire des inégalités dans son rapport de 2011.
Pour conclure, je pense qu'il faut redéfinir la notion de "Classe moyenne" en Haïti en y incluant la question du revenu ou du salaire. Il faut une révolution pacifique ensuite. Cela exigera la création de nouvelles entreprises, avec de nouvelles politiques publiques d'inclusion, la création de nouveaux emplois avec de bons salaires. Et puis, il faut arrêter de faire la sale promotion du salaire minimum de 200 gourdes (4 dollars US) par jour. On ne vit pas avec 4 dollars US par jour. On survit avec!
M. Charles Philippe BERNOVILLE
Président de PROFILE AYITI
Avril 2015.
