Réponse d’une Citoyenne Haïtienne, Dr Yanique Duval, à la Sénégalaise, Madame Fatoumata Esther Ndiaye.
Je me permets de rédiger votre lettre pour faciliter une compréhension de la réponse.
"Chers cousins d’Haiti
Je vous écris depuis la terre mère d’Afrique notamment depuis le Sénégal pour être sure que tout va bien au pays de Jean-Jacques Dessalines mais surtout pour pouvoir vous poser quelques questions que vous trouverez peut être pertinentes vue votre fierté de première nation noire indépendante du monde. Une vérité historique mais questionnable ! J’ai pris mon temps hier pour visualiser quelques vidéos dans lesquelles j’ai vu vos frères et vos sœurs, mes cousins et cousines, traites comme des esclavages par des policiers américains a cheval dans l'Etat de Texas comme si on était au temps colonial. J’ai vu aussi de photos ou des femmes et des homes haïtiens risquent leurs vies en traversant des rivières dangereuses avec des fillettes de 2 ans sur leurs épaules. J’ai vu de ces choses horrible, terrifiantes, et j’ai pleuré!
Apres avoir pleuré un temps, je me suis résolue de m’adresser ouvertement a vous via la plateforme Profile Ayiti dirigée par un cousin dont je salue le travail au passage avec le risque qu’il ne publie pas ma lettre vue sa teneur, afin de vous demander les questions qui vont suivre:
J’ai appris depuis l’école secondaire que vous êtes originaires d’Afrique, vous avez connu plusieurs siècles d’esclavage en Amérique notamment a Saint Domingue, puis un certain Jean-Jacques Dessalines vous a donne votre liberté. Vous êtes depuis Novembre 1803, la première nation noire libre du monde. Sur la base de cette histoire héroïque, comment faites-vous pour accepter aujourd’hui que vos dirigeants vous poussent a quitter votre patrie fondée par le sang de vos ancêtres? Comment acceptez-vous que vos leaders ne puissent pas vous défendre devant les pays étrangers et qu’ils se comportent comme des traitres?
J’ai aussi appris qu’après avoir arraché votre liberté au prix du sang, vous êtes alles libérer d’autres peuples dans l »Amérique latine dont le Venezuela, la Bolivie ou l’Equateur. Si vraiment vous avez fait tout ca, pourquoi n’êtes-vous pas capables de vous construire un pays convenable aujourd’hui? Les rumeurs disent que c’est à la cause des néo-colons, j’ai même vu un poste sur Profile Ayiti pour l’anniversaire de Dessalines ou l’on dit que l’ennemi est redevenu sous une autre forme. Mais si vous le savez, pourquoi vous ne vous débarrassez pas d’eux comme en 1803? Qu’êtes-vous devenus?
En 2010, votre pays a été victime d’un très gros tremblement de terre au cours duquel 300000 personnes ont péri et des villes entières ont été détruites. J’ai vu des articles ou il est mentionne que l’argent de reconstruction d’Haiti a été vole par une famille americaine en complicité avec des élites politiques et économiques locales. Certains parlent de 11 milliards de dollars américains voles en deux ans. Si tout ca est vrai pourquoi avez-vous préféré de vous rendre au Chili ou au Brésil au lieu de vous battre sur le terrain pour demander qu’on vous rende des comptes sur cet argent ? Ne comprenez-vous pas que cette somme peut vous mettre a un bon niveau de développement durable si l’argent est restitue pour être bien dépensé ensuite ?
En 2019, des rapports de l’un de vos cours administratives, la cour suprême des comptes, ont révélé que vos leaders ont détourné près de 4 milliards de dollars américains dans des projets fictifs. Cet argent qui a été donne sous forme de gaz par Hugo Chavez a votre pays n’a servi qu’a enrichir les élites politiques et économiques du pays. Vous avez lancé le mouvement « ou est l’argent petro caribe ? » supporte par le panafricaniste béninois Kemi Seba qui s’est rendu jusqu’à port au prince pour faire des conférences. Mais ironiquement vous vous êtes arrêtés, vous avez casse le mouvement sans avoir fait le procès. Les rumeurs disent que des traitres ont infiltre le mouvement et vous ont désorganisés. Alors dites mois si cela est vrai, en quoi Jean Jacques Dessalines, le leader jusqu’auboutiste radicaliste est il votre père? En quoi un homme comme Henry Christophe qui a défié le général français Charles Leclerc dans le Cap-Haitien en 1802 est-il votre modèles de fierté? N’êtes-vous pas des usurpateurs avérés?
Pour finir, que mes questions vous mettent en colère ou vous fassent prendre conscience, je m’en réjouirais parce qu’au plus profond de mon être je vous aime. Vous me faites souffrir par l’image que vous projetez dans le monde. Trop de fois vous oubliez ce que vous êtes, du coup les autres questionnent votre histoire glorieuse. Vous m’humiliez, vous êtes égoïstes, vous refusez de devenir une grande nation alors que vous en avez les pleins moyens. Vous ne vivez que pour vous alors que l’Afrique compte sur vous, vous vous moquez de nous ! Vous passez votre temps a rappeler aux Américains que vous leur avez aide a faire leur indépendance, que vous avez fait Savannah, alors que vous refusez de bâtir Haiti ! Qu’êtes-vous devenus, même?"
Chère Cousine du Sénégal.
Je vous réponds depuis la Floride, Etat du sud est des Etats Unis ou je réside depuis 1995. Je vous annonce en effet que rien ne va au pays de Jean Jacques Dessalines. Vos questions en effet sont assez pertinentes en raison de notre fierté de première nation noire indépendante du monde. Cette vérité n’est nullement questionnable.
Le comportement des Agents frontaliers Américains à l’égard des immigrants Haïtiens n’étonne personne. Nous Haïtiens ne sommes pas responsables de la brutalité des agents frontaliers et de la politique des Américains vis-à-vis des immigrants. Nous sommes cependant responsables de notre comportement. Vous dites avoir pleuré à la vue de ces horrible et terrifiantes scènes. Les pleurs reflètent parfois un cœur sensible et généreux, un esprit ému par la souffrance des autres. Beaucoup de gens ont pleuré. Le monde pleure chaque jour à la vue d’atrocités perpétuées dans tous les coins de la terre.
En effet, Madame la cousine, les Haïtiens sont les descendants de la traite Négrière émanant des cotes des pays de l’Afrique. Notre passé de peuple, les péripéties de notre cheminement vers la glorieuse victoire de Novembre 1803 représentent un raffinement dans notre évolution. Nos Aïeux méritent honneur et respect. Ce coin de terre identifié au nom d’Haïti représente la conscience de toute une race. La traite des noirs en elle-même est le miroir des turbulences qu’avaient connu l’Afrique. La naissance de la Nation Haïtienne a préconisé l’ère de la dignité et la liberté des noirs. Haïti réclame respect ne fusse que pour son combat pour la liberté des noirs en captivité. Que personne ne doute de ce fait.
Le citoyen Haïtien à l’instar des citoyens du monde fonctionne sur trois dimensions: Le corps, l’âme et l’esprit. Nos exploits et débâcles de peuple résultent de l’équilibre ou du déséquilibre de ces trois composantes. Nous Haïtiens sommes dans un état de déséquilibre profond aboutissant à notre déclin progressif. Ce déséquilibre nous cause des chutes, des fractures, des traumatismes crâniens, la confusion mentale, l’incapacité de prendre des décisions rationnelles pour notre avenir de peuple. En raison de ce déséquilibre, les individus cherchent leur voie partout ailleurs en dehors de la dynamique collective quasiment débilitante. La dynamique collective étant en chute libre, l’individualisme et ses mécanismes de défense sont en fait prévalents.
Vous demandez "comment acceptez-vous que les dirigeants vous poussent à quitter votre patrie fondée par le sang de vos ancêtres?". Je vous encourage à faire un recul et analyser l’histoire de l’humanité pour en trouver la réponse. L’être humain embrasse toujours les luttes de son existence, il est toujours en quête de la poursuite du bonheur, il fuit la privation, la famine, l’insécurité et tout le reste. L’individu cherche à tout prix à créer cet équilibre en quête d’un mode de vie plus satisfaisant. Donc, le déséquilibre collectif engendre l’émigration et l’intensité du degré de désespoir conditionne les voyages périlleux vers un salut inconnu. Le monde a connu ces scènes dans le parcours de l’histoire de l’humanité. Ces comportements humains seront les mêmes d’éternité en éternité.
Vous demandez « comment acceptez-vous que vos leaders ne puissent pas vous défendre devant les pays étrangers et qu’ils se comportent comme des traitres ». Le principe du déséquilibre peut aider à répondre à cette question. Une entité en déséquilibre est en chute libre, dirigeants et gouvernés subissent les mêmes émotions. Le pays devient la victime des conséquences des actions de dilapidation des fonds de l’état, la négligence dans la gestion des fonctions de l’état, l’incapacité d’élaborer et d’implémenter un plan de développement, de s’atteler à la tache vers la réalisation d’une cause commune.
L’élève qui n’a pas appris sa leçon n’est ni reconnu ni récompensé pour son échec. Une vie de défaite n’élève pas une nation. Une nation en faillite n’additionne pas des fleurs à son auréole. Voilà pourquoi nous sommes maltraités et méprisés. On a failli de rétablir l’équilibre collectif. On s’est laissé entrainer par la poursuite du pouvoir au prix de la déchéance d’une nation. L’Individualisme prévaut, à chacun son enfer, chaque luciole éclaire sa propre voie.
Vous demandez avec un ton quasiment impertinent "Si vraiment vous avez fait tout ça, pourquoi n’êtes-vous pas capables de vous construire un pays convenable aujourd’hui?". Je comprends votre intention de stimuler par l’instillation de la colère. Votre intention est bien perçue mais le ton ne sera jamais accepté par les descendants de Jean Jacques Dessalines.
Je continue la réponse pour vous dire que la dégradation du pays est multifactorielle. Les solutions aux problèmes du pays deviennent de plus en plus complexes. Le pays devra d’abord retrouver son équilibre, à commencer par le rétablissement de la sécurité dans les rues, comprendre et accepter l’effort à fournir pour se remettre au travail, dynamiser les esprits et retrouver la sérénité de l’âme du peuple Haïtien dans un sens collectif. Haiti doit devenir un espace où il fait bon vivre.
Adressant les néo-colons, vous demandez «pourquoi vous ne vous débarrassez d’eux comme en 1803» Alors, chère cousine faut-il engager une guerre fratricide contre les néo-colons ? Non…Les enjeux et les intérêts collectifs sont trop divergents, on risque de tomber dans un chaos sans issue et plus dramatique avec des conséquences beaucoup plus traumatisantes et tristes. L’oligarchie dominatrice existe partout. Cependant l’état de faiblesse des institutions du pays, le manque de structure administrative, la situation d’impunité généralisée paralysent la nation. L’absence du sens de devoir civique déshumanise l’oligarchie. Cette situation de dégradation dénonce leur inaction dans la participation du développement du pays. L’oligarchie devra s’intégrer dans les actions de développement aussi bien que la masse des citoyens. L’Oligarchie doit démontrer son sens d’appartenance, son amour du pays, sa sensibilité envers la souffrance du peuple Haïtien. Elle doit aussi passer par un revirement dans la perception de l’image du pays. Elle doit aussi ressentir les sentiments de honte, de mépris et se ressaisir. Elle doit épouser la volonté de développer Haïti et d’embrasser les efforts pour l’intégration sans restriction des patriotes Haïtiens vivant à l’étranger.
Vous demandez "qu’êtes-vous devenus?". Nous sommes et demeurerons des Haïtiens portant la marque de notre histoire. Les flétrissures du présent ne sauront en aucun cas altérer notre valeur de peuple. Nous sommes dans des situations de crises profondes. La prise de conscience d’une nation en déséquilibre parfois passe par de grands évènements. Prenons le Rwanda en exemple. Pas trop longtemps le monde percevait leur guerre fratricide de barbarie, aujourd’hui ils sont sur la voie du succès. Ils ont retrouvé leur point d’équilibre.
Nous avons pleine conscience de la sévérité de nos problèmes. A cette phase de notre vie de peuple, nous sommes devenus errants, impuissants, intolérants et notre pays est tombé dans la dépression, la violence et l’anarchie. Nous ne sommes pas fières de ce tableau sombre et peureux.
Chère Cousine, nous comprenons l’importance de l’argent, comme vous aussi vous comprenez l’importance du pétrole, du diamant, de l’or, de la flore, de la faune et des matières premières de votre cher Sénégal. La lutte pour la récupération des aumônes pourrait bien aider. Notre état de confusion est trop intense pour lutter contre les familles américaines en question. Quant à l’affaire Petro Caribe Dieu seul connait les innocents et les coupables.
Il nous faut nous retrouver d’abord, fixer les objectifs pertinents et réalisables, planifier, reconstruire les structures vitales de la nation, nous atteler à la tâche et prospérer. Il nous faut redéfinir les conditions d’échanges avec les nations dites amies. Il nous faut prendre un recul, méditer sur notre avenir de peuple, et entamer la lutte contre le sous-développement. Inviter les Haïtiens de partout à participer à la révolution économique et sociale du pays.
Madame la cousine, tout en appréciant votre sympathie pour nous autres vos cousins et cousines Haïtiens, je vous demande de ne plus jamais questionner notre descendance de Jean Jacques Dessalines sous forme propre ou figurée. Son sang coule encore dans nos veines. Arrêtez-moi ça… Il ne faut jamais traverser cette ligne. L’agression morale ne fera qu’irriter le peuple Haïtien, elle ne servira pas à galvaniser la motivation de l’Haïtien. Instiguer la colère n’est jamais une stratégie productrice. Alors, on pourrait vous demander pourquoi l’Afrique en dépit de ses richesses n’est-elle pas encore élevée au rang de puissance mondiale ? L’histoire d’Haïti vous enseignera que Jean Jacques Dessalines avait engendré la colère en formulant la phrase suivante : «d’après tout ce que je viens de faire dans le Sud du pays, si les Haïtiens ne se soulèvent pas c’est qu’ils ne sont pas des hommes». Sa mort en a résulté.
Vos cousins Haïtiens ont été métamorphosés par l’esclavage et la lutte pour leur liberté et celle de la race noire captive. La haine des colons a secoué les dieux ancestraux, nous avions accepté le Christianisme, nous avions subi des mutations. Haïti a donné le ton, l’Afrique ne peut que continuer à enchérir l’histoire de cette nation. Nous accueillons les conseils des pays africains qui ont traversé le désert du sous-développement. Nous sommes prêts à rencontrer les leaders du Rwanda, de la Cote d’Ivoire, du Ghana, du Sénégal et autres pour saisir les stratégies pouvant conduire au progrès de notre pays.
Alors chère cousine, vous avez exprimé de l’amour pour Haïti et la honte pour les situations répugnantes actuelles. Je vous comprends. J’espère que votre approche de la situation d’Haïti sera révisée à la lumière de la compréhension de la souffrance d’une nation condamnée à expier pour avoir galvanisé la libération d’un système esclavagiste d’ordre mondial, système producteur de richesses immenses aux réseaux intercontinentaux de l’époque. En 1869, la vente des esclaves aux Etats unis enrichissait encore, alors que Haïti s’attelait à former une nation avec les principes de développement rudimentaires. Nous subissons encore l’impact économique de la dette de l’indépendance exigée par la France. L’exode des intellectuels et professionnels Haïtiens plonge le pays dans une carence presqu’irréversible. On doit avancer malgré tout, envers et contre tous. Notre caractère de peuple va se réveiller, je veux du moins espérer.
L’Histoire d’un peuple demeure sa fierté. Les circonstances actuelles sont assez pénibles et insultantes à subir. Je veux vous rassurer que Haïti retrouvera sa voie. Etant maintenant dans l’abime, l’ascension vers la hauteur s’en suivra inévitablement. Enfin cousine, j’espère du plus profond de mon être que cette réponse à vos questions produise un effet sur les dirigeants Haïtiens pour une analyse en profondeur des voies et moyens pour changer la face de cette nation humiliée, déchirée et meurtrie.
Quant à notre histoire, Haïti demeure la championne de la liberté des noirs d’éternité en éternité. Merci de nous aimer. Nous ne voulons nullement vous humilier, au contraire, nous vous aimons en retour. Nous vous inviterons à visiter notre Haïti chérie quand les vents contraires auront cesse leur destruction et que la roue du développement commence à tourner. La perle des Antilles retrouvera son éclat. Que Dieu nous guide et nous apporte le secours!
J’espère que cette réponse vous trouve en bonne santé. Merci de votre marque d’amour. J’attends votre prochain article avec un ton plus doux.
Yanique DUVAL, MD, MPH
Citoyenne Haïtienne
27 Septembre 2021.
C’est bien là notre problème, nous sommes toujours en mode défensive au lieu d’écouter, de prendre conscience et de commencer à prendre les vraies dures decisions. J’espère que la sénégalaise ne lira pas cette réponse, ou si elle la lit ce sera quand même avec ce commentaire. Quel ton que les descendants de Dessalines ne seront pas prêts à accepter? Le ton de la frustration des cousins qui attend de nous qu’on assume notre position de leadership! Et comment se parle t’on nous haïtiens les uns avec les autres?! Cet orgueil nous a servi à quoi, à nous rendre un peu plus sots, je suis bien d’accord. Mais il est temps de devenir intelligents et d’assumer. Et aussi d’arrêter l’hypocrisie, on ne vit pas en Haïti mais on se permet d’inviter les gens à visiter. A visiter le magnifique pays que nous avons réussi à bâtir après toutes ces années « d’indépendance »! Haïtiens, apprenons l’humilité. Ce sera le premier pas vers notre chemin de gloire. (Toute faute orthographique, mettez le sur le compte de mon clavier, je n’ai vraiment le temps que d’exprimer ce que j’avais aussi sur le cœur à propos de votre réponse qui ne nous fait pas tant honneur, à nous autres haïtiens en HAÏTI)
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