Monsieur, cela vous gênerait que je vous tutoie, mais le vouvoiement crée une certaine distance entre nous. Alors je vous tutoie!
En effet, monsieur, je m'adresse à toi aujourd'hui pour deux raisons:
- La première, c'est que, bien que je sois de la lignée de Toussaint Louverture, je n'ai jamais raté l'occasion d'étudier le discours de l'homme de Milot qui se revendique d'être défenseur d'un grand idéal social, économique et politique inspiré par Jean-Jacques Dessalines, père de notre patrie commune.
- La deuxième, c'est que je suis un esprit qui voit les faits et les évènements du présent comme une suite logico-historique dépassant fort souvent le cadre de l'individu super-héros.
Tu es né en avril 1967 dans la commune de Milot où il n'existait à l'époque qu'une seule petite école nationale et aucune autre école ni publique ni privée dans aucune des trois sections communales (Perches-de-Bonnet, Bonnet à l'Évêque, Genipailler) du village.
Cela dit, après ton CEP (Certificat d'Étude Primaire), si tes parents n'avaient pas d'objectif ou si tu n'avais pas de rêves, tu ne te serais pas rendu à Cap-Haïtien pour aller à l'école secondaire, au Lycée Philippe Guerrier, l'école fondée entre mai 1844 et avril 1845 sous la présidence de Philippe Guerrier.
Il était presque normal à l'époque que le fils du paysan, après l'école primaire, reste dans les bois pour élever les animaux et faire du jardin que d'entrer en ville pour aller à l'école secondaire.
L'histoire révèle qu'à l'époque, le citoyen haïtien qui vit en ville a 50 fois plus de chance d'obtenir son Brevet que le paysan n'en a pour son certificat d'étude primaire même si la population rurale s'estimait supérieure à celle urbaine (plus de 60 % à l'époque).
En d'autres termes, le paysan haïtien et ses fils avaient à peine accès à l'instruction primaire en ces temps-là.
Et pourtant, toi-même fils de paysan, tu as préféré relever le défi d'aller à l'école secondaire plutôt que de rester dans les bois après l'école primaire. Je salue au passage d'autres fils de paysans qui l'ont fait avant toi.
Mais, vois-tu, malgré cet effort, les gens des villes se moquent de toi et de ton accent de paysan. Pourquoi? Parce que le système n'avait pas prévu que le paysan vienne prendre la parole en ville dans les espaces publics ou tout simplement dans les espaces de pouvoir avec autant d'autorité et de science.
Celui qui ne parle pas comme le citadin éclairé n'aura pas droit à la parole, et si jamais il prend ce droit, il sera moqué. Tel est ton cas, n'est-ce pas, monsieur?
Pour faire court, ton titre honorifique de docteur ne t'appartiendra pas, monsieur. Ce titre devra appartenir à ces paysans qui sont constamment moqués à travers toi quand tu prends la parole en public ou en privé dans les milieux urbains.
Ce titre doit appartenir aux habitants de la commune de Milot d'où tu viens et pour lesquels tu as encore beaucoup à faire. Tu éviteras donc de te faire appeler "docteur", car tu auras remis le titre aux paysans d'Haïti.
Ce ne sera pas un ordre, mais un conseil utile qui plaîrait au premier leader révolutionnaire paysan de gauche ayant vécu sur cette terre longtemps avant toi, Jean-Jacques Dessalines!
Poursuis tes rêves, monsieur!
M. Charles Philippe BERNOVILLE
Fondateur de Profile Ayiti
7 Novembre 2021, Haïti.