Nous avons le plaisir de vous présenter un deuxième extrait des Mémoires de Joseph Balthazar Inginac dans lesquels il présente l'historique des faits qui se sont produits à Saint-Domingue ou Hayti de 1797 à 1841. Nous rappelons que Joseph Balthazar Inginac est né à Léogane en 1775. Il a été général de Division dans l'armée haïtienne, puis secrétaire des présidents Alexandre Pétion et Jean-Pierre Boyer.
"Je n'avais jamais connu l'effet des préjugés de couleur, attendu que dès mon enfance, j'avais toujours été avec mon père négociant, colon distingué, et dont les principes étaient tout à fait philantropiques; vers la fin de 1801, j'eus le malheur d'avoir avec un écossais qui était mon associé pour les affaires de commerce, quelques discussions: cet individu m'ayant maltraité de paroles et s'étant servi d'épithètes grossières, je cherchai à repousser ses outrages: c'est alors qu'il me fit observer ce qu'il y avait d'accablant pour l'homme de couleur qui voulait se mesurer avec l'homme blanc.
Cette affaire suffit pour me dégoûter alors de la Jamaïque, et me faire prendre la résolution d'abandonner mon père et ma mère, et d'aller là, où sans nier mon origine, je pourrais ne pas redouter d'avoir à souffrir une insutle à cause de mon épiderme; mon père communiqua mes chagrins et ma résolution à l'honorable George Bogie, et à sa seigneurie lord Balcarres, qui lui accordaient leur amitié; ils lui conseillèrent de m'envoyer aux Indes orientales, lui faisant l'offre de m'y procurer du service dans les troupes de S.M.B. Je consentis d'abord à cette expatriation lointaine, mais lorsque je vins à me ressouvenir de mon pays natal, auquel il me fallait renon- cer à tout jamais, le sacrifice me parut si grand, que je ne pus m'y déterminer: je rétractai ma promesse d'aller au Bengale, et je me décidai ou à me cloitrer dans ma chambre ou à aller errer sur les mers, pourvu que je pusse respirer de loin l'air de la terre qui m'avait vu naître!
Dans ces entre-faites la paix d'Amiens entre l'Angleterre et la France eut lieu, et comme il était question de remettre dans l'esclavage à Saint-Domingue ceux qui en avaient été affranchis, et comme l'alternative de ce nouvel asservissement devait nécessairement produire une collision entre ceux qui devaient être ré-asservis et ceux qui devaient exécuter le changement, un noble lord, entièrement dévoué à la régénération de la caste Africaine, me conseilla de retourner dans mon pays natal, d'y donner avis à mes connaissances de ce qui devait s'opérer, et de prendre parti avec eux pour la défense de leur liberté, puisque je ne pouvais pas supporter les préjugés de couleur! Ce parti me convenait fort bien, et il lut bientôt pris; je me procurai un bâtiment léger avec une petite cargaison, je partis de Kingston, et en Février 1802, je débarquai au Port-au-Prince, où se trouvait le Général Rochambeau sous les ordres du Général Leclerc.
Je m'empressai de m'aboucher avec l'adjudant Commandant Alexandre Pétion, alors Colonel de la 13ème demi-brigade Coloniale qui revenait de la prise de la Crête à Pierrot et je ne lui laissai pas ignorer ce que j'avais appris du projet de remettre dans l'esclavage ceux qui en avaient été affranchis ou de s'en défaire d'une manière quelconque; l'illustre Petion, en me remerciant de mon avis, me recommanda la plus grande circonspection, et me fit entendre qu'il n'avait repassé les mers que pour saisir la première occasion favorable de revendiquer les droits de nos frères.
Après plusieurs conférences au Port- au-Prince, et au moment où il recevait l'ordre de se rendre dans le Nord avec la troupe sous ses ordres, je lui fis connaître que j'allais travailler à me mettre en rapport avec ceux des indigènes qui pourraient être favorable à la causé de la liberté; j'avais la tête pleine de la révolution des Etats-Unis d'Amérique: l'histoire en était constamment sous mes yeux.
Le premier indigène avec lequel je m'abouchai fut le Citoyen Joseph Lafontant, qui était dévoué à la cause qu'il s'agissait de faire réussir; il me fit bientôt lier connaissance avec le Commandant Arnaux Vaudreuil, des Varreux; Louis Ladouceur du Mirebalais, et avec le Capitaine Cantave du Cul-de-Sac, qui tous se mirent en mouvement pour faire des prosélytes; je n'hésitai pas à m'ouvrir au Commandant Labén. Hulicourt qui commandait le Fond-Ferrier pour les Français, et je le persuadai de se détacher d'un service dont il s'acquittait avec un dévouement qui provenait de l'irritation dans laquelle l'avait plongé la conduite récente du Général Toussaint Louverture.
Liés d'amitié avec Bruneau Hiriart et Linar, nous nous chargeâmes conjointement d'endoctriner les Commandants Milien Letor du Morne-chandelle; Tanot Meslier, Miord Bineau, et Pierre Paul Montulais de la Plaine de Léogane; et Mathieu Fourmi des hauteurs des Citronniers; bientôt l'insurrection fut établie sur tous les points dont il vient d'être question ; de son côté, l'adjudant-Commandant Pétion, avait pris les armes dans le Nord, en entraînant dans son parti les généraux Dessalines, Clerveau et Hebri Christophe qui servaient encore la cause Coloniale..."
La suite ici dans moins de 48 heures.
Pour études complémentaires, PROFILE AYITI vous propose "Mémoires de Joseph Balthazar Inginac, 1843".
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Notes de Charles Philippe BERNOVILLE
Président et directeur des recherches.
Les Mémoires du Général Inginac est intéressant à plus d'un égard. Il connaissait l'ensemble des acteurs de cette période cruciale de la création de la nation haytienne. Il nous édifie sur le rôle important joué par Pétion dans l'union des mûlatres et des noirs. Il nous renseigne sur la gestion quotidienne des gouvernements de Pétion et de Boyer. Ses tracasseries avec les favoris et politiciens de cette époque.
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