"NOTE À UN AMI FRANÇAIS!
Cher Monsieur,
Je ne sais par quel hasard, heureux ou malheureux, je suis tombé sur votre publication parlant de l'haïtisation de la Guadeloupe et de la Martinique qui connaissent toutes deux de vives tensions en ce moment. Mais, ce qui est sûr, c'est que le concept utilisé pour parler de la dégradation de la vie sociale ou politique dans ces deux départements parait choquant et même méchant dans un pareil contexte.
Je sais pertinemment que vous n'avez pas inventé le mot, puisqu'avant vous, le géographe Paul Moral a déjà parlé, en 1965, de l'haïtisation des pays d'Afrique récemment sortis de la domination coloniale française, pour désigner l'affaissement progressif de leur économie. Cependant, l'utiliser ainsi, sans gêne, pour ouvrir une plaie séculaire qui peine déjà à se cicatriser dénote l'obstination de la France, du moins de certains français, à nier le poids du fait colonial dans le sous-développement de certains pays du sud, notamment Haïti.
L'Histoire est là heureusement pour nous tirer de la torpeur collective. Alors, je veux prendre le soin de vous rappeler brièvement, cher Monsieur, que si ce mot existe aujourd'hui, la métropole française y est pour beaucoup. Voyons donc ensemble quelques actes odieux qu'a commis votre noble et grand pays et qui entravent aujourd'hui encore le développement de cet îlet perdu comme une épave dans la mer des caraïbes.
En 1625, votre pays a planté l'étendard de la colonisation à Saint-Domingue (Haïti). Des noirs libres arrachés des côtes africaines sont transplantés de force dans la géhenne coloniale pour exploiter les terres en endurant toutes sortes d'horreurs et de flagellations.
En 1791, harassés de subir les atrocités de l'esclavage, les nègres et les mulâtres, victimes du système raciste et oppressif mis en place dans la colonie, ont formé une importante alliance pour lutter contre les forces obscures qui les anéantissaient et les réduisaient en biens meubles, sans droit et sans dignité.
Ainsi, en janvier 1804, l'indépendance d'Haïti est proclamée par les généraux indigènes, comme la Première République Noire du monde, après avoir mis en déroute l'armée napoléonienne ou l'expédion Leclerc-Rochambeau chargée de rétablir l'esclavage dans la colonie. C'est une victoire hors du commun mais c'est aussi une perte énorme pour la France dont l'économie reposait en grande partie sur l'exploitation coloniale. Votre pays mettra longtemps, cher Monsieur, à digérer cette défaite. (Je doute d'ailleurs qu'il y soit encore parvenu)
Voilà pourquoi, en 1825, après deux décennies de négociations infructueuses pour ramener Haïti sous le joug de la métropole française, Charles X, alors roi de France, finit par trancher en concédant à la jeune nation son indépendance contre une indemnité de 150 millions de francs-or pour dédommager les colons. Il convient, néanmoins, de souligner que ce dit accord signé par le président haïtien de l'époque, Jean-Pierre Boyer, a été imposé par contrainte aux haïtiens: une flotte de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons accompagnait la délégation.
Et comble de l'ironie, c'est encore la France généreuse qui se propose d'accorder à Haïti un prêt à un taux d'intérêt étouffant pour payer cette indemnité accablante qui va finir par ruiner l'État au fil des années de souffrance.
L'expression française dit déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul, mais narquoisement, dans le cas d'Haïti, c'était déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Pierre.
Par conséquent, la pauvreté de ce pays ne vient nullement du fait que les haïtiens soient incapables de s'autodiriger comme beaucoup de détracteurs ont voulu et veulent encore le faire croire en se basant soit sur la notion de race, soit sur la culture. Elle a été programmée et planifiée. Je n'enlève pas cependant la part de responsabilité des colons noirs et corrompus qui détruisent le pays en vidant les caisses de l'État pour satifaire leurs intérêts personnels.
Pour revenir maintenant, à vos propos, cher Monsieur, si la Guadeloupe et la Martinique connaissent cette situation bouleversante, née de l’opposition à l’obligation vaccinale, la France métropolitaine n'est pas innocente. En réalité, la crise sanitaire n'est qu'un élément déclencheur de cet éclatement social. Les causes exactes de la généralisation des contestations sont à rechercher non dans la méfiance de la population mais, dans les problèmes profonds et millénaires de ces sociétés qui gardent encore les mêmes structures coloniales sous des formes plus complaisantes.
Il est clair que ces deux départements d'outremer ne jouissent pas vraiment des mêmes prérogatives que les autres départements français. Ce n'est pas moi qui vais apprendre à personne que la France est un enfant égoïste qui s'accroche toujours jalousement à ses jouets abîmés pour ne pas les céder à d'autres enfants, alors qu'il ne prend soin réellement que de ses jouets neufs.
De là, si je concède qu'Haïti soit le prototype de la misère, de la violence, de la pauvreté, la France n'a-t-elle pas aussi sa part de responsabilité comme dans le cas des deux départements ?
Plus de deux siècles à subir le poids de la colonisation et de l'esclavage; plus de deux décennies à souffrir de l'isolement sur le plan international; près d'un siècle à subir la pression d'une dette. Comment voulez-vous, cher Monsieur, que ce pays, Haïti, puisse marcher sans tituber et ne pas servir de mauvais exemple aux autres pays ?
Comment voulez-vous qu'il ne soit pas trébuchant dans la recherche de son équilibre social et politique ?
Comment voulez-vous que les haïtiens puissent instaurer sans tâtonnements un ordre politique juste et exemplaire avec cette persistance du fait colonial dans la vie sociale ?
Chaque fois qu'on prononce ce mot, haïtisation, la France devait se sentir coupable d'avoir humilié ainsi un peuple.
Somme toute, imaginez ! Imaginez cher Monsieur qu'Haïti était une personne physique que la France violait pendant toutes ces années d'esclavage.
Une personne sans cesse violée doit-elle un dédommagement à son violeur si elle consent un jour à se défendre ?
Le viol est-il une chose légitime, puisque la raison du plus fort est toujours la meilleure ?
Répondez-moi s'il vous plaît cher Monsieur, je veux être moins bête, pour une fois,après toutes les questions que je me suis toujours posées concernant le tragique destin de mon pays !
Je sais que l’Histoire est aussi un héritage de haine transmis de génération en génération, je veux pour cela finir avec une note plutôt humaine pour vous dire que cette génération éclairée que nous sommes a le devoir moral de divorcer avec ces idées sectaires, nationalistes et suprématistes qui nous poussent très souvent à catégoriser l’espèce humaine ou à développer des clichés vis-à-vis de certains hommes que nous croyons à tort différents de nous. Aussi innocente qu’elle puisse paraitre, une discrimination nourrie envers une catégorie d’hommes, n’est jamais trop petite pour blesser l’humanité entière. Tant de mauvais souvenirs hantent déjà notre mémoire : les holocaustes, les génocides… L’humanité ne peut plus compter ces atrocités qui commencent toujours par une simple différence, une simple déclaration qui appelle une exclusion et qui finit par une extermination.
Pour reprendre votre formule, qui, du coup, n’a plus la même valeur discriminatoire à mes yeux, ce n’est pas la Guadeloupe et la Martinique qui connaissent une haïtisation, c’est le monde ! Le monde avec le réchauffement climatique, les épidémies, le terrorisme, la pauvreté (que dis-je) la répartition inégale des richesses, les guerres...
Alors, Haïti, à son tour se dégrade au rythme de ce monde qui oublie certaines valeurs-clés comme l’amour, la fraternité, l’entraide, la charité, le pardon, la paix, la solidarité…"
M. Elbeau CARLYNX, jeune poète haïtien.
📷: le nom et la photo de la personne ont été enlevés par souci d'anonymat.
Bravo Elbeau, il faut mettre les choses au claire!
RépondreSupprimerNOUS EN PAIERONS LE PRIX !
RépondreSupprimerNous avons encore en mémoire l’impressionnant défilé de motards sur l’avenue de Sainte Thérèse, boss en tête drapeau rouge- vert-noir déployé : figuration équivoque d’un bataillon de « patriotes », symbolique d’un « Mada » vision rue ; en définitive, un hymne consacrant un modèle : « nous avons une plus grande légitimité que ceux qui nous arrêtent et ceux qui nous jugent ».C’était il y a deux ans, Monsieur le Maire de Fort-de-France, avec votre bénédiction… Le message est arrivé à qui de droit et la jonction semble désormais acquise comme l’indiquent les récents évènements. Acquises aussi, manifestement, les exigences de ceux de la rue : pillages, voies de fait et plus si affinités… Pourvu que l’intention de nos rouges-verts-noirs, les « historiques », grands stratèges devant l’éternel, soit respectée : le chaos en vue de réaliser leur fantasme« mal-papay » d’insurrection populaire ; ceci, dans l’indifférence totale de la tragédie sanitaire que vivent nos compatriotes : hôpital saturé, pompiers dépassés, morgue engorgée… Les anti-vaccins et anti pass sanitaires du samedi matin servent à vrai dire de petit bois d’allumage et d’enfumage pour le brasier du soir. Qui de ces différents acteurs manipule qui ? Qui contrôle qui ? Que dire de leur absence de condamnation des débordements de nuit ? C’est la confusion la plus totale sur un registre qui n’est ni citoyen, ni politique, ni syndical… Mais puisque l’argument, le motif pour agir est paraît-il, dans le sillage des « patriotes » de l’hexagone, la démocratie menacée, il est bon de rappeler cette vérité à tous y compris à ceux qui nous gouvernent : les martiniquais n’ont jamais eu de contentieux avec la vaccination obligatoire. C’est une vieille institution qui a évolué avec la lutte contre les épidémies. Ils n’en n’ont pas davantage avec le « pass vaccinal » qui existe déjà de fait, tel que le carnet de santé. Reste à comprendre le très faible taux de vaccination en Martinique. Il s’explique, selon nous, dans une assez large mesure, par une forte appréhension, une peur, qui devrait s’analyser comme la résultante d’une conjonction de facteurs dont les plus importants sont à notre avis les suivants : - le sentiment d’une gestion erratique de la pandémie par l’Etat, particulièrement au début, - le rejet du vaccin par la grande majorité de ceux qui sont en charge de l’administrer, exception faite des médecins, quoique quelques libéraux le déconseillent à leurs patients. - l’ambiguïté des élites politiques martiniquaises et des médias : raison de parti pour les premiers, recherche du sensationnel pour les seconds, - l’inflation complotiste de tout bord sur les réseaux sociaux se livrant jour et nuit à un travail consciencieux de désinformation. Il y a aussi, à part égale, le vieux fond fataliste face à une menace qu’on appréhende mal et la croyance en une efficience quasi magique de la pharmacopée populaire aux antipodes de la démarche rigoureuse de validation telle que développée depuis plus de 40 ans par le réseau TRAMIL (Programme de recherche appliquée à l'usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe). C’est un temps béni pour les naturopathes peu scrupuleux… Nous en paierons le prix !
Août 2021
Marie-Laurence DELOR